Porco Rosso par Julie Joblin Porco Rosso fait partie de ces groupes discrets, qui font pourtant leur petit bout de chemin à Paris et ailleurs. Depuis 2001, le groupe distille ses compositions au rock doux et langoureux. Mené par Yann Giraud et sa culture musicale impressionnante, Porco Rosso vient de sortir un nouvel EP Porcographie et un nouveau single chez le label associatif French Toast. Entretien avec Yann, qui nous parle des projets du groupe et de sa conception de la musique. Comment est né Porco Rosso ? Porco Rosso est né très précisément en août 2001 lors du festival de Benicassim, en Espagne, où je me suis rendu avec le premier guitariste du groupe. Après trois jours à écouter Pj Harvey, les Flaming Lips, Mercury Rev et Pulp – l’une des plus grosses claques jamais prises en concert – , il nous est apparu évident qu’il était temps de créer un groupe de pop et d’essayer de faire une musique lumineuse, assez « ligne claire », influencée par les gens que nous écoutions alors. Nous avons monté le groupe quelques mois plus tard et avons fait nos armes sur scène à l’été 2002. Je dois dire qu’à l’époque, c’était loin d’être fameux, mais certains des traits de la musique que nous faisons toujours actuellement se sont affirmés à cette époque. Depuis nous avons sorti deux maxis, Des Jours Meilleurs en 2004 et Porcographie en 2006, puis après une pause d’un an, nous avons sorti notre premier album autoproduit, La Vie Sans Moi, en 2010. Composez-vous tous ensemble ou avez-vous des rôles bien définis ? Le groupe a subi pas mal de changements et du line up original, il ne reste que le bassiste – avec qui je fais de la musique depuis plus de quinze ans. Du coup, je suis l’auteur-compositeur principal du groupe, j’écris les textes, trouve les mélodies et les progressions d’accord. La suite, par contre, dépend pas mal des autres membres du groupe. J’aime que les choses soient un minimum spontanées et je ne suis pas du genre à imposer à tout le monde ses parties, ce d’autant plus que je suis moi-même un musicien très médiocre. Je n’ai pas peur que notre son perde de son identité, car je sais qu’au cœur, il y a ma voix, mes textes et mes lignes de chant. Après, ça peut partir dans pas mal de directions différentes, mais je ne dis pas qu’on ne se prend pas un peu la tête à ce sujet. Ça doit expliquer les départs et les arrivées dans le groupe, j’imagine ! À l’heure où beaucoup de groupes chantent en anglais, vous avez choisi le français. Est-ce pour vous démarquer des autres groupes ? Dire qu’on cherche à se démarquer des autres groupes, ce serait imaginer qu’on a une stratégie, alors qu’en fait, si j’écris en français, c’est juste parce que pour moi, c’est naturel. Je parle l’anglais couramment, j’ai vécu aux Etats-Unis, mais si j’écrivais en anglais, mon groupe ne serait qu’un nième groupe d’indie français. On l’a fait à une époque, avant de créer Porco Rosso. Les chansons ressemblaient à du R.E.M. ou du Elliott Smith, bref aux trucs qu’on écoutait à ce moment-là. Ma voix avait l’air générique. Par contre, dès que je suis passé au français, je me suis mis à poser les mots d’une façon différente et de nouvelles idées mélodiques me sont venues. Très vite, nous avons senti qu’il y avait une veine à explorer, un boulevard s’ouvrait à nous. Le français, c’est une contrainte, mais une contrainte très libératrice, paradoxalement. Il y a des centaines de groupes qui sonnent comme Radiohead, mais combien chantent en français ? Et est-ce qu’on peut tenter un morceau power pop dans la langue de Molière ? Tout de suite, ça devient intéressant. Porco Rosso par Jean-Baptiste Fleury Selon vous, est-ce une bonne stratégie pour attirer les labels et les tourneurs ? La réponse est simple : non ! La preuve, nous n’avons pas de label – nous bénéficions de l’aide de French Toast, un label associatif qui nous aide à promouvoir notre musique, mais n’est pas vraiment une maison de disques dans la mesure où ils ne produisent pas nos disques et ne contribuent pas à financer notre activité. Et nous n’avons pas de tourneur non plus. Il faut dire que nous sommes timides et discrets, nous ne cherchons pas beaucoup. Pour répondre à ta question d’une façon plus générale, je pense que cette mode des groupes pop français qui chantent en anglais est réelle, qu’elle fait éclore de vrais talents – je pourrais citer de jeunes artistes et groupes comme Rover et Erevan Tusk. Par contre, je pense que ça ne va pas forcément durer parce que les quelques uns qui marchent ne sont que les arbres qui cachent la forêt. Les labels continuent à chercher des artistes qui chantent en français, car ce sont eux qui ont accès à des radios comme France Inter. Prends le Prince Miiaou, par exemple. Il y a eu un petit buzz autour d’elle, mais c’est le seul morceau en français de son dernier album que les radios ont passé. Idem pour Mina Tindle, dernièrement. Par ailleurs, quand je vois ce que j’écoute comme Français cette année, c’est toujours Dominique A et Barbara Carlotti. Mon groupe préféré apparu ces dernières années, c’est Mustang et eux sont arrivés à renouveler le genre en faisant se percuter le français avec du rockabilly, de l’electro façon Aphex Twin, des formes musicales à la fois rétro et contemporaines. Ils sonnent comme du Nino Ferrer du 21e siècle, ça c’est très excitant pour moi, beaucoup plus en tous cas que la recherche du nouveau Phoenix. Chez Spanky Few, on est particulièrement fans du morceau Achères Villes. De quoi vous êtes-vous inspiré pour écrire ce morceau ? Et les autres ? Déjà, merci pour le compliment. Achères-Ville est un morceau tout récent qu’on intégrera peut-être au prochain album, mais n’existe pour l’instant que sur un 45 tours digital, disponible uniquement sur Bandcamp dans le cadre des singles French Toast. Je ne suis pas toujours capable de dire d’où me vient l’inspiration pour un morceau précis, mais là, c’est assez facile. Je travaille dans le nord-ouest de Paris et pour m’y rendre, je passe par cette station du RER A qui a le don de me déprimer, car ça ressemble à une cité-dortoir avec des immeubles récents, genre faux Haussmann, et un cimetière. J’imagine que l’on y trouve des cadres moyens ou sup qui y vivent pour être à vingt minutes de la Défense. C’est un peu l’incarnation bien française de ces « exub » américaines dont le but est de contourner les centres-ville. Comme cela, tu peux aller au boulot et au centre commercial sans avoir à croiser ces choses inutiles que sont les musées, les théâtres, les salles de concert, la culture, quoi … ça représente un peu toute la vie que j’espère ne jamais avoir, mais en un sens, ça a son charme et c’est intéressant, car ça symbolise une certaine évolution de la société. Il en sortira peut-être quelque chose de bon, de meilleures salles de concert en banlieue, des lieux de création comme le Mac-Val … En général, c’est le genre de choses qui m’inspirent, des sentiments et des activités assez simples, mais que je veux retranscrire dans mes morceaux d’une façon qui ne soit pas terre-à-terre. Je déteste la « nouvelle chanson française », ces chanteurs qui parlent de la queue au Monoprix, mais d’un autre côté, je ne veux pas écrire de textes trop métaphoriques, trop complexes. Alors, nos morceaux parlent de l’amour, de le faire (parfois) ou de son manque (souvent). Cela dit, mes textes ont changé depuis nos débuts. Avant, il y avait des histoires assez linéaires alors que maintenant, c’est un peu plus ouvert à interprétation. Je suis cependant pour que les sentiments soient exprimés de façon assez directe, avec une certaine violence. Qui sont les artistes qui vous inspirent ? Il y en a tellement, c’est même un problème ! J’écoute tellement de musique de mon côté et tous les membres du groupe sont assez mélomanes. Chacun a sa spécialité. Notre guitariste aime les trucs assez barrés des années 70 comme Can ou Soft Machine. Il a une formation jazz à la base. Notre batteur est à fond dans les groupes canadiens en ce moment – Broken Social Scene, par exemple, mais aussi des groupes qui chantent en français et sont inconnus en France comme Karkwa. Notre bassiste écoute des tonnes de trucs comme du hip hop, de l’électro, du post-rock. Pour ma part, j’ai été chroniqueur musical pour un magazine. C’est un bien et un mal en même temps parce que du coup, j’ai tendance à vite intellectualiser la musique, à cogiter un peu trop. Si je devais citer quelques influences évidentes de Porco Rosso, ce serait Jean-Louis Murat pour l’aspect français et Sparklehorse et The Shins pour l’aspect indie anglo-saxon, et dernièrement, j’ai beaucoup écouté Okkervil River, Shearwater et The Decemberists. J’écoute pas mal d’autres choses qui ont une influence plus lointaine sur notre musique comme du garage ou du shoe-gaze. Au final, j’ai tendance à préférer le rock américain à la brit-pop. Je le trouve plus lumineux, plus direct dans les sentiments qu’il exprime, aussi. Porco Rosso par Jean-Baptiste Fleury Quelles sont les personnalités du monde de la musique – groupes ou producteurs – avec qui vous aimeriez travailler ? Il n’y en a pas vraiment parce que nous avons déjà la chance de collaborer avec des gens que nous aimons. Sur Achères-Ville, justement, il y a des chœurs et pas mal d’invités comme Agnès et Xavier du groupe La Féline et Maud Lübeck, des gens dont j’adore la musique. Le morceau a été masterisé par Stéphane Garry, de Pokett, l’un de mes groupes parisiens préférés. Évidemment, si on me proposait de faire un bout d’essai avec John Congleton, Tucker Martine ou Dave Fridmann, qui ont réalisé quelques-uns de mes disques préférés, ce serait hyper tentant, mais des mecs de cette trempe auraient quel temps à nous consacrer ? Deux jours ? Deux heures ? Vingt minutes ? Je pense qu’à la base, ces gens n’étaient que des potes qui faisaient de la musique pour s’amuser et c’est cet esprit de communauté qu’il faut s’efforcer de recréer à Paris. Du coup, s’il y avait une personne à choisir avec qui j’aimerais bien travailler au final, ce serait Jonathan Morali de Syd Matters. C’est quelqu’un que je croise pas mal parce qu’on a quelques amis en commun, mais même s’il est venu jouer un peu de scie musicale sur notre disque, nous n’avons jamais vraiment travaillé ensemble. C’est quelqu’un avec une vision assez singulière qui a bâti sa carrière sans se soucier des modes et j’aimerais bien que quelqu’un comme lui vienne donner un point de vue extérieur à notre musique. Vous avez choisi French Toast, un label associatif, pour sortir votre projet. Qu’est-ce qui a motivé votre choix ? L’amitié ! Stéphan de French Toast est quelqu’un que j’ai connu en dehors de la scène musicale parisienne. Nous sommes passés par les mêmes études universitaires. La plupart des groupes qui sont rattachés à French Toast le sont pour les mêmes raisons. Il y a une certaine vision de l’indépendance, héritée des labels de la fin des années 80 comme Sarah Records et nous aimons beaucoup cet esprit, mais si à la base il n’y avait pas un respect mutuel et des relations amicales, nous ne travaillerions pas avec eux. Après, il faut préciser que French Toast est un label qui a des moyens très limités. C’est une association qui ne peut se permettre de financer des disques, mais peut aider à trouver des fonds pour cela. Pour moi, c’est un label au sens propre du terme, un macaron comme celui du guide Michelin qui représente un gage d’indépendance et de qualité. Par contre, pour notre prochain disque, nous cherchons un véritable label qui nous permette de le faire avec plus de moyens, notamment au niveau du mixage et du mastering, ainsi que de la promotion qui reste malgré tout quelque chose d’important. Les outils internet sont bien sympathiques pour faire parler de soi sur Twitter ou Facebook, mais les radios traditionnelles et la presse écrite restent encore des acteurs de premier plan dans le développement d’un groupe. Tout cela nécessite pas mal de fonds et seul un véritable label peut nous permettre de passer à l’étape supérieure. Votre contrat de distribution digitale vient de finir, au moment même où vous sortiez votre nouveau projet. Vous prenez ça comme une galère ou vous êtes plutôt du genre à rebondir facilement ? Je prends ça comme une opportunité et d’ailleurs, c’est moi qui suis à l’origine de cette rupture, car le contrat était reconductible tacitement. Pourtant, ce contrat que nous avions avec un distributeur digital était avant toute chose une contrainte forte nous empêchant de démarcher des labels. Je ne m’en étais pas rendu compte jusqu’au jour où, alors que nous avions été repérés par un distributeur parisien pour une compilation physique et digitale, notre distributeur a refusé de céder les droits de distribution, faisant capoter toute l’affaire. J’en ai gardé un profond ressentiment pour ces nouveaux médias qui se comportent comme des comptables et ne s’inscrivent pas dans une démarche artistique. Tu crois que c’est cool d’être sur iTunes et Deezer alors quand tu commences, tu es prêt à signer n’importe quel contrat, mais en fait, ça n’a pas de sens, car tu es encore un groupe non signé et avant d’aller balancer ta musique sur n’importe quelle plate-forme de téléchargement où elle va passer inaperçue, tu as plutôt intérêt à agir à une échelle plus locale et à te construire une fan base. Lorsque nous n’avions pas de contrat de distribution, nous pouvions faire des concerts devant 200 personnes, dont 90 % d’amis ou de membres de notre famille. Désormais, nous avons notre musique partout, avons été diffusés sur Le Mouv’ ou mis en avant sur le site Les Inrocks Lab avec plus de 70 000 écoutes en un week-end, nous avons été sur une compilation Virgin téléchargée 20 000 fois et pourtant, nous avons parfois du mal à ramener plus de 30 personnes à nos concerts ! Tu es partout et en fait, tout le monde s’en fout ! Désormais, nous diffusons notre musique sur notre site internet et sur Bandcamp mais nous maîtrisons ce que nous faisons. Si je veux offrir notre musique gratuitement, je peux le faire et savoir qui télécharge les chansons, construire une mailing-list à partir de là, partager la musique sur Facebook moi-même, la bloguer sur WordPress. Avec notre distributeur, nous avons été téléchargés des milliers de fois, mais nous avons touché 70 euros et n’avons eu aucun contact avec le public. Est-ce bien normal ? Quels sont vos projets dans les mois à venir ? Nous travaillons sur le prochain album et c’est un vrai défi ! Nous ne savons pas encore comment il va sonner, ne savons pas si les deux titres de notre single se retrouveront dessus, si nous allons les réenregistrer. Nous jouons depuis dix ans et la lassitude peut nous gagner. Nous voulons donc repenser notre son, entrer dans une démarche plus expérimentale, échanger nos instruments, ne pas forcément nous en tenir à la formule basse-guitare-batterie. C’est assez excitant, mais il y a pas mal d’inconnues. La seule chose que je peux dire, c’est que le titre du disque sera La Fin du Monde et que la plupart des chansons sont déjà composées. Du coup, nous ne jouons plus trop live en ce moment. Je compte faire quelques concerts en solo cet été et peut-être aussi à la rentrée pour tester ces nouvelles chansons dans des conditions différentes, voir si elles tiennent la route. Le mot de la fin ? Je crois que j’ai assez parlé – j’en profite pour saluer le lecteur qui sera arrivé à ce stade de l’interview – alors je vais me contenter de te remercier pour ton intérêt et aussi de nous avoir offert cet espace d’expression. Porco Rosso par Jean-Baptiste Fleury