Astrid Penny K par Emilia Lombardo It-girl… C’est une expression qu’on attend beaucoup ces dernières années. Malheureusement, ce concept finalement assez obscur concerne la plupart du temps des filles qui tiennent plus des plantes vertes que de vrais artistes. Pour nous une it girl, c’est une fille d’aujourd’hui, qui assume ce qu’elle est ce qu’elle veut. Une touche-à-tout, un modèle qui s’illustre dans plusieurs disciplines et le fait avec talent. Fuck les filles de milliardaires, la vraie it girl est une espèce en voie de disparition et juste pour vous, on en a déniché une. Elle s’appelle Astrid Penny K, est une artiste complète et va faire parler d’elle. Elle ne se considère pas comme une socialite et elle a raison. Et si la vraie it-girl, c’était la fille qu’on croise tous les matins dans le métro et qui monte sur scène le soir ? Astrid, tu es une figure de l’underground parisien mais pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter ? J’ignore si je suis réellement une figure underground car j’essaie de toucher un « public » assez large et éclectique mais une chose est certaine : me présenter est un exercice qui m’a toujours semblé difficile. Je vais tenter d’être brève et factuelle… J’ai 26 ans, je vis sur Paris. J’ai fait des études de lettres et de cinéma qui m’ont très vite conduite au journalisme culturel mais je me consacre vraiment depuis quelques années à la musique et à l’image. J’ai aujourd’hui deux groupes parallèlement à mon travail photo et vidéo. Photos, vidéo, musique, tu es une véritable touche-à-tout. On a l’impression que tu as un besoin irrépressible de créer. Est-ce le cas ? C’est difficile de mettre des mots sur ce qui me donne le déclic systématiquement mais je crois que c’est vraiment ça. Un besoin viscéral qui m’empêche souvent de dormir, plus qu’un caprice mégalo. Mon ambition artistique et mon épanouissement intime sont étroitement liés, c’est indéniable. Ma motivation ne vient pas d’une envie obsessionnelle d’être vue sur tous les fronts mais d’une curiosité extrême. Je pense en fait que j’ai toujours voulu être plus actrice que spectatrice parce que très rapidement je m’en suis sentie capable. Dès l’école primaire. Faire les choses plutôt que de regarder les autres agir pour assumer ce que je suis. Laisser ma trace en en faisant un peu plus que dire « j’étais là ». Il y a forcément une part d’orgueil et de frustration dans tout ça mais la façon dont je construis mon parcours est bien plus complexe… L’art en général a-t-il toujours fait partie de ta vie ? Oui depuis mon enfance. Plus ou moins consciemment. Même s’il y avait au final peu d’artistes dans ma famille, j’ai toujours baigné dans un climat très riche culturellement parlant. Ma grande sœur et moi avons eu la chance d’avoir des parents ouverts et aux goûts assez raffinés en matière de littérature, de cinéma, de peinture et de musique. On n’a jamais écouté de Michel Sardou à la maison mais de la pop et de la folk anglo-saxonne, du jazz, du classique et parfois de la musique cubaine. On ne passait jamais de vacances sans visiter des musées ou des galeries d’art. C’était naturel. Rien de tout ça n’était forcé ou de l’ordre de la pose « bobo » de la part de mes parents. Mon père peignait beaucoup et logiquement je me suis mise à dessiner très petite et à remporter des concours locaux. Vers 10 ans, avant de rentrer au collège, je commençais à écrire des bribes de poèmes et de nouvelles, des choses assez maladroites, je pense, mais déjà très personnelles et introspectives. Je faisais souvent des fixations aussi. Je pouvais écouter en boucle la même chanson pendant des mois, ne lire que du Shakespeare et vouloir à tout prix transformer ma chambre en chapelle baroque en la décorant d’anges et de bougies… Sans le savoir, je forgeais ma personnalité en fonction de ce que je voyais et écoutais. C’était plus beau et excitant que le quotidien chiant de mon entourage… De manière un peu boulimique j’ai multiplié les activités extrascolaires jusqu’au lycée. Danse, arts plastiques, théâtre, chorale, etc… C’était important pour moi, sûrement plus que mes notes à l’école. Je n’ai jamais adhéré au système éducatif lambda bien qu’ayant toujours été une excellente élève. Je me suis sentie chaque année en décalage avec mes camarades de classe, ce qui m’angoissait vraiment quand j’y repense. Comme j’étais déjà à la base autonome et perfectionniste, j’avais souvent l’impression de perdre mon temps à écouter les profs nous redire 50 fois les mêmes choses. C’était pour moi une source de stress inutile… Au collège, quand je n’avais pas envie de faire mes devoirs, je me consolais beaucoup en regardant les clips sur MTV et une quantité monstrueuse de films sur Canal +. Parfois je ne comprenais pas tout ce que je voyais, parce que je tombais aléatoirement sur des choses réservées à un public plus adulte, mais je m’imprégnais de façon indélébile de toute cette culture populaire. Les stars de cinéma et de la pop ont été mes meilleurs profs finalement. Astrid Penny K par Nicolas Brunet Tu t’intéresses beaucoup à la psychanalyse et l’ésotérisme. Est-ce une source d’inspiration pour toi ? Tout ce qui attise ma curiosité m’inspire inévitablement, que ce soit du texte, des sons ou des images… De plus j’ai toujours cultivé les paradoxes dans mes fétichismes. Lier la psychanalyse à l’ésotérisme ou bien la science à la religion par exemple peut sembler casse-gueule mais si je devais décrire mon univers artistique je dirais qu’il fonctionne selon une certaine dualité. Pour revenir à ta question, ma rationalité et ma rigueur ne m’empêchent pas de dévier vers un mysticisme random totalement assumé. Une sorte de lutte philosophique que je dois sûrement à mon background littéraire. J’ai beaucoup lu Freud et Jung, beaucoup de théories assez austères sur le cerveau humain tout en m’intéressant à la littérature romantique et au surréalisme. Je pense que tout ce bagage transparait aujourd’hui, de manière plus ou moins conceptuelle et évidente pour les gens, dans les paroles imagées de mes chansons, le traitement chromatique de mes vidéos ou encore la composition souvent verticale de mes photos… Parmi toutes ces disciplines, y en a-t-elle une qui te définit le mieux ou sont-elles complémentaires ? Le choix serait très compliqué, contrariant et pas forcément à propos de mon point de vue car j’ai besoin de m’exprimer et de me définir à travers ces disciplines en simultanée. Il y a une filiation naturelle entre ma passion de la musique et des images, une connexion qui prend véritablement son sens quand on connaît mon parcours depuis la fac. J’ai commencé à étudier le cinéma au moment précis où j’ai monté mon groupe de pop rock Misfit Grace (anciennement Morning Glory). Puis je suis passée derrière l’objectif en bossant comme journaliste culturelle après avoir été moi-même modèle pendant quelques temps. Quant à la vidéo, et plus spécifiquement le clip, je crois que l’on peut quand même facilement imaginer le cheminement, entre musique, cinéma et photo… Pour moi ce n’est nullement de la dispersion. Il y a des choses que je savais faire auxquelles j’ai renoncé par manque de temps ou de conviction. Je nourris chacun de mes projets actuels de mon expérience pluridisciplinaire. Choisir catégoriquement et définitivement un seul support serait comme m’amputer d’un membre ou me retirer l’un des cinq sens… Après, le sort, les circonstances et les rencontres feront que je sortirai peut-être plus rapidement du lot grâce à une discipline en particulier plutôt qu’une autre. Je ferai probablement des concessions à ce moment-là. We’ll see ! Depuis quelques années, on parle beaucoup du concept des « it girls », des filles douées pour après tout et qui connaissent du succès dans à peu près tout, un peu comme toi finalement. Que penses-tu de ce phénomène et comment te positionnes-tu par rapport à lui ? Personnellement, j’ai tendance à associer la « it girl » aux blogs féminins, aux tabloïds anglais et aux sacs à main de couturier ! A une image de bobo ultra narcissique relativement insupportable en fait. Ce que je pense et espère avant tout ne pas dégager aux yeux des gens… Je dois être dure mais les « it girls » sont rarement mises sous les projecteurs pour de bonnes raisons. Puis je ne pense pas correspondre aux caractéristiques actuelles de ce phénomène assez flou finalement. Je ne suis pas une « socialite », une créature super sociale vue en Zadig et Voltaire dans tous les coins branchés de la capitale qui copine jusqu’à l’épuisement en attendant le buzz. J’ai plutôt l’impression de faire les choses un peu dans mon coin sans exposition médiatique, d’aller à mon rythme, de m’imposer doucement en pensant au long terme. De prendre le temps de construire des projets solides et sincères avec des personnes que j’estime tant sur le plan artistique qu’humain… Astrid Penny K par Nicolas Brunet Tu as une actualité chargée puisque tu as monté le clip d’AV qui sortira courant février et tu fais un concert au Pop’In le 7 février avec ton groupe That Obscure Object Of Desire. Te définirais-tu comme une « workalcoolic » ? Sans aucun doute ! Si je ne suis pas tout le temps occupée, je tourne en rond, je rumine beaucoup et c’est rarement très sain. C’est même carrément infernal. Donc je préfère enchaîner les activités, je creuse les projets en cours, rejoins de nouveaux chantiers, donne un coup de main quand je le peux à mes confrères et consoeurs. Je me mets souvent la pression toute seule, mais il s’agit plus d’un coup de pied aux fesses enthousiaste que d’un stress paralysant. Je prends des risques, teste mes limites et expérimente parfois des choses sans vraiment avoir de vision précise du résultat final. L’important est de ne jamais se contenter du minimum syndical, d’essayer de se dépasser un peu plus à chaque fois. J’adore travailler en collaboration avec d’autres artistes. Le dialogue est toujours stimulant et fructueux. La création est une vraie respiration… En quelque sorte je crois que je ne me sens légitime qu’en étant productive. Maintenant, la question qu’on pose à tous les musiciens interviewés par Spanky Few : la crise du disque et l’avenir de la musique, tu les vois comment ? En ce qui te concerne, quelle stratégie vas-tu adopter pour faire face aux mutations qui vont avoir lieu dans le secteur musical ? Face à une industrie musicale schizophrène qui prend des voies incertaines avec à la fois la chute et la fusion des majors mais aussi l’émergence de structures indépendantes plus ou moins fiables et efficaces vouées au développement médiatique d’artistes « non signés », on ne peut pas aujourd’hui se contenter d’un seul schéma type de « réussite ». Je mets des guillemets car la réussite en soi est déjà une notion totalement subjective… Bref. A l’heure de la crise du support physique, je pense que l’essentiel est de renforcer l’échange direct entre les artistes et leur public, privilégier le live et le web. Rendre paradoxalement les choses plus fluides à travers des outils et des stratégies de communication et d’autopromotion plus élaborés. Il faudra être encore plus imaginatif pour survivre dans ce milieu. Pour les artistes la question sera plus que jamais celle de l’intégrité tandis que le public devra se demander s’il veut être un peu plus qu’un « consommateur de produits culturels »… Puis le mythe du riche producteur qui offre aux groupes une gloire inébranlable durant des décennies est révolu, tout comme se dire « alternatif » n’a pas beaucoup de sens à partir du moment où on a une page Facebook… En 2012 nous vivons une transition, une période charnière assez flippante où le système peut encore être revu et remodelé afin de répondre aux vraies attentes de notre génération. Dans 20 ans, le monde la musique et de l’art en général ne seront plus les mêmes. Tu jongleras toujours entre musique, photo et vidéo selon toi ? Même si je m’interroge beaucoup sur mes ambitions et à leur aboutissement, j’ai du mal à me projeter dans le futur. Je ne sais pas où j’en serai dans 6 mois ou un an, alors 20 ans… Mais au regard des chamboulements actuels, qu’ils soient d’ordre social, économique ou culturel, je suis quasi certaine que la polyvalence sera le maître mott. Je serai alors peut-être en phase avec mon temps à ce moment-là… Amen. Un mot de la fin ? Merci ? Astrid Penny K par Magdalena Korpas