Entre expérience occulte et immersive, nous nous sommes plongés dans REBOOT ME, une expérience numérique et spirituelle dont nous ne sommes pas sortis indemnes… REBOOT ME est un film interactif de 5 à 10 minutes, rejouable à l’infini. Documentaire et divinatoire, REBOOT ME reprend les codes de la cartomancie pour découvrir quatre personnages inattendus et questionner sa propre identité. En partant d’une interrogation de l’utilisateur, REBOOT ME convoque ainsi quatre oracles dont les propos philosophiques, scientifiques, ésotériques, spirituels jalonnent sa progression. Ces oracles, un wiccan, un monstre à deux têtes, un chercheur en étude de la conscience et une clairvoyante, apportent leur regard sur une société en changement. La question initiale, prétexte à leur rencontre, constitue une grille de lecture de l’expérience. Il y a quelques semaines, nous vous parlions de l’expérience WEIORDIE, une fiction interactive crée par Simon Bouisson pour le web. Nous pensions finir l’année sur cette très bonne surprise et ne plus être particulièrement surpris par un projet vidéo. C’était sans compter Camille Ducellier et l’équipe de Kids Up Hill, qui ont développé REBOOT ME. Cet étonnement projet vidéo (pour le web, toujours) est à la croisée du documentaire (on y découvre des passionnés – et passionnants – de sciences occultes, des « sorciers des temps modernes) et de l’expérience utilisateur. Ce second aspect se présente sous la forme d’un tirage de carte virtuel où l’internaute peut poser une question et choisir des cartes qui seront commentées par les « oracles » interviewés par Camille Ducellier. A la fin du tirage, une pointe d’humour, des réponses bizarrement assez troublantes et une expérience hors normes à tous les points de vue. Et qu’en pense Camille Ducellier, la créatrice du projet ? Quel public souhaitez-vous toucher avec Reboot Me ? On imagine que beaucoup de passionnés de divination vont tenter l’expérience et peut-être être perplexes ? Ne craignez-vous pas que certains utilisent Reboot Me au premier degré ? A vrai dire, je serais ravie que Reboot Me soit utilisé au premier degré, c’est-à-dire dans la perspective de créer une narration qui soit interprétable comme une réponse à sa question du jour. Je trouve d’ailleurs que la fonction divinatoire de Reboot Me fonctionne vraiment bien et j’espère que l’humour présent dans ce projet ne viendra pas discréditer les arts divinatoires, mais au contraire élargir joyeusement les applications possibles de la divination dans notre quotidien. J’espère que cela intéressera les amateurs d’art divinatoire, d’oeuvre interactive, de documentaire, mais aussi les sphères féministes et/ou queer qui ne se retrouvent pas habituellement dans les arts divinatoires plus traditionnels et parfois binaires. Peu importe le plan sur lequel vous entrez en relation avec un art divinatoire, il y a toujours un écho possible qui peut nous faire avancer dans notre compréhension de la situation, mais il est effectivement possible de vivre aussi cette expérience interactive sur des plans plus documentaires, plus féministes, plus cyborg, plus ludiques … Peut-on dire que Reboot Me marque une rupture dans le documentaire français actuel ? Je pense que c’est plutôt un continuum, mais il est certain que les cultures web sont en train de transformer notre manière de raconter des histoires qu’elles soient fictionnelles ou documentaires. Sur l’aspect formel, en utilisant l’interactivité, Reboot Me participe avec beaucoup d’autres documentaires interactifs à l’exploration de nouvelles formes d’écritures. On y découvre justement un espace de travail passionnant pour agencer de manière cohérente réalisation et conception de l’expérience. L’interactif dans le documentaire sur le web va-t-il être une tendance durable ? Peut-on déjà parler de révolution ? En quelques années, les webdocumentaires se sont effectivement multipliés, mais leurs déroulés sont souvent similaires et pas toujours très intéressants. Il s’agit d’arborescences de choix ou de vidéos assez linéaires agrémentées par des métadonnées. D’autres parts, les thématiques sont rarement en lien avec des cultures plus minoritaires et je trouve cela fort dommage, car le web est justement un espace qui pourrait être moins normé. Quand on voit les normes télévisuelles, on ne peut qu’espérer que le web soit un espace d’expérimentation et de liberté formelle. On a eu la chance d’être soutenus notamment par Pictanovo et le CNC et j’ai eu pour Reboot me une liberté de ton que je n’aurais sans doute pas eu avec un autre support plus classique. Enfin, quels sont vos projets à venir ? En 2016, j’aimerais bien réaliser avec Kids up hill une application pour smartphone inspirée de Reboot me (elle est en cours de conception) et un jeu de cartes physique adapté également de l’expérience interactive. Entre documentaire et art divinatoire, ce projet invite l’internaute à découvrir des individus spirituels, tout en réalisant un tirage de cartomancie interactive. Introspection, transformation, réincarnation ou renaissance, ces mots ne devront pas rester abstraits, mais seront incarnés par des personnages réels, qui ont croisé mon regard. Difficile d’ignorer les bouleversements sociaux, économiques, écologiques et politiques qui traversent nos vies. La rigidité, la peur et le clivage pourraient bien l’emporter, mais d’autres chemins parallèles s’agitent aussi et les “sorcières” d’aujourd’hui semblent inventer une “éthique de la souplesse”. Le roseau plie, mais ne cède pas. Influencé par les travaux de Donna J. Haraway et son “Manifeste Cyborg”, ce projet web est un espace de connexions, d’anticipations, d’expériences biotechnologiques et de découvertes documentaires. Cycle infernal, serpent qui se mord la queue, spirale du temps, il faudra sortir de la boucle, afin d’en finir avec ses propres répétitions : un art de la renaissance . Ainsi “Croire ou ne pas croire” n’est plus la question ici. Il s’agit, avant tout, de trouver des liens joyeux entre corps, technologie et spiritualité. Équipe Réalisation : Camille Ducellier Assistante réalisation : Hélène Pigeard, Juliette Defrance Image : Camille Langlois Son : Yann-Elie Gorans, Léonore Mercier, Sébastien Cabour Post-prod son : Sébastien Cabour, Théo Galienne Conception interactive : Fuzzy Frequency Production : Kidsuphill Partenaires : France Culture, Le Fresnoy, Pictanovo