Le vinyle va t-il sauver l’industrie du disque ? Quelques jours après le Disquaire Day, nous avons rencontré Toma, des Balades Sonores, pour parler de l’avenir de la musique et du rapport des consommateurs de musique à l’industrie du disque. Hello Toma, tu es à la tête des Balades Sonores, une structure hybride (label, boutique, événementiel). Pour réussir dans la musique, faut-il être polyvalent ? Balades Sonores est en effet une structure qui regroupe différentes activités… mais toutes sont intiment liées et complémentaires. De la diffusion de flyers à la vente de disques, en passant par l’organisation de concerts, les créations de Chicamancha ou notre petite activité de label : ça forme un tout. Diffuser nos propres supports de communication permet d’assurer de la visibilité pour notre boutique et les artistes qu’on soutient. Tenir notre boutique de disques permet de mieux vendre les sorties du label. Chicamancha faisant partie de l’équipe nous permet de développer une identité visuelle forte et continue. Monter un partenariat promo avec un festival permet de nous y déplacer et d’y vendre des disques, etc. De là à dire que se diversifier est une nécessité pour vivre/réussir, je ne sais pas… On pourrait par exemple ne faire que du « street-marketing », mais faudrait en faire plus et le plaisir ne serait pas le même ! En revanche, oui, ça serait difficile de continuer à aider des artistes ou autres labels à fabriquer un vinyle si on n’avait pas aussi des activités plus lucratives. En résumé, la polyvalence de Balades Sonores est assez naturelle et permet d’auto-adapter nos actions en fonction d’un équilibre nécessaire entre plaisir et financement. Toute une gymnastique… Vous considérez-vous comme une structure autonome, pouvant finalement prendre en charge tous les aspects de production, fabrication et médiatisation ? On est autonomes en effet. On a réussi en 10 ans à se faire une place dans cette « jungle » sans avoir recours à de larges subventions ou crédits. On a tout monté petit à petit de manière autofinancée, avec de nombreuses étapes d’ajustement. Par exemple, avec l’extension du magasin au 3 avenue Trudaine (Paris), on a dû mettre en pause nos activités événementielles « hors-les-murs » et notre label… mais tout ça reprendra du service très bientôt on espère. Cette autonomie ne veut pas non plus dire qu’on peut assumer tout seuls toutes les étapes de prod, fab et promo. Notamment parce qu’on en a pas la vocation. Et surtout parce qu’on n’en a pas les compétences ni les ressources humaines. On a pourtant au début essayé avec le label et le booking… et on en est vite revenus. « Chacun son métier » comme on dit. On ne peut pas techniquement et financièrement tout faire. On se voit plus comme une passerelle, comme un lien entre les artistes, les labels, les promoteurs et le public. Le Disquaire Day – auquel les Balades Sonores ont participé – vient de s’achever, quel est ton bilan ? Le Disquaire Day s’est très bien déroulé. On a eu beaucoup de monde. Avec beaucoup de bonne humeur. L’opération est un grand et réel succès. Surtout au niveau de la communication et de la promotion des disquaires indépendants. On doit aussi louer les efforts des organisateurs/coordinateurs. Mais ce Disquaire Day a aussi de nombreux travers : comme la confirmation malheureuse d’une tendance à la hausse des prix (un souci aussi lié à des couts de fabrication plus élevés, à un dollar plus fort, à des frais de port croissants, etc.). Il ne faut pas que les labels se tirent une balle dans le pied. Il y a un regain d’intérêt pour le vinyle, mais si c’est pour en faire un produit de luxe, ça n’a pas d’intérêt… Faire revenir les gens chez le disquaire pour acheter de la musique sur support physique est un travail de long terme. Il faut continuer à capter un public de plus en plus jeune. Mais si c’est pour les faire fuir avec des prix prohibitifs… Aussi, il y a une dangereuse récupération de l’événement par les majors (même si la présence de gros artistes dans les listings Disquaire Day permet justement de ramener beaucoup de monde) et ce sont souvent les premiers à taper fort côté prix. Pourtant, il y a énormément de sorties plus indé qui devraient elles, être plus valorisées. On a par exemple commandé beaucoup de jazz, de musiques de films et de musiques du monde qui étaient au listing du Disquaire Day… Et beaucoup de ces références sont toujours là en magasin : il faut les travailler dans le temps, faire écouter et sensibiliser le public. Autre point à souligner : pendant cette folle journée, on voit bien sûr plein de clients habituels, mais il y a aussi beaucoup de gens qui passent la porte du disquaire pour une (presque) première fois et on a envie de leur dire « Hey, on est aussi ouverts le reste de l’année hein ! ». En tout cas, oui on a passé un beau Disquaire Day, et c’est une journée qui a un gros impact sur le chiffre d’affaires (presque en un jour le CA d’un mois…). Ce type d’initiative est-il un réel soutien pour les disquaires aujourd’hui ? Oui bien sûr. Le Calif, organisateur du Disquaire Day français, fait un gros travail d’orchestration et de promotion qui n’est pas négligeable. Et c’est souvent la seule fois dans l’année que certains grands médias vont parler du vinyle et des disquaires indépendants. Faut pas non plus cracher dans la soupe. Certains pensent que le Disquaire Day a surtout été un prétexte pour les grosses boites de prod d’organiser des concerts, sans se vraiment se préoccuper des disquaires. Partages-tu cet avis ? En effet, je ne me suis pas rendu compte tout de suite de l’ampleur de ces écarts… étant la tête dans le guidon avec les préparatifs de cette journée (+ les travaux de la nouvelle boutique à finir). Le sponsoring ne doit pas être diabolisé : recevoir des sacs gratuits de la part de Ray Ban, des maxis vinyles gratuits de la part de Jays, installer une sculpture vinyle en vitrine avec Converse, etc. Ce sont là des exemples concrets et efficients de soutien de marques auprès des disquaires indépendants. Donc encore une fois, ne crachons pas trop vite dans la soupe. Mais en effet, on a l’impression que le côté événementiel a pris trop d’importance et a détourné l’attention. On a en aval du Disquaire Day rencontré des gens qui pensaient que le Disquaire Day était place de la République et qui y ont cherché le stand de notre boutique… Parlons disque justement et plus précisément vinyle. Les ventes ont-elles réellement augmenté ces dernières années ? Oui c’est certain. Quand on a ouvert il y a 3 ans, on vendait au départ 70% de vinyles et 30% de CD. Aujourd’hui, on doit à peine frôler les 10% de CD. Mais c’est aussi la conséquence de notre positionnement : on privilégie depuis le début le support vinyle. Pour deux raisons : la qualité du son et le besoin physique d’un bel objet. Les ventes de vinyles peuvent-elles sauver le marché du disque ou s’agit-il finalement d’une niche ? Selon toi, comment va évoluer le marché du disque dans les années à venir ? Oui et non. Le digital est un bel outil : pratique et économique. Donc son existence ne peut plus vraiment être remise en cause. Et on peut difficilement parier que se vendra un jour plus de vinyles que de digital (dans la mesure où le streaming est monétisé, même si trop faiblement). Le CD pourrait lui disparaître : il devient intermédiaire. Le vinyle devrait, et on le souhaite, continuer à augmenter sa part sur le marché du disque. Si bien entendu la hausse des prix ne se confirme pas, et si la qualité des pressages est au RDV. Avec les usines qui tournent en sur-régime, on voit trop souvent des vinyles avec des défauts de pressage. Quel est le profil d’un acheteur de vinyle ? La majorité de la clientèle est dans la tranche 25/40 ans. Une population qui a toujours connu (et pour la plupart acheté) le support physique, mais qui réalise l’intérêt du vinyle par rapport au CD. On aussi une clientèle plus âgée, de fins connaisseurs ou plus amateurs, qui pour certains d’entre eux rachètent pour la troisième fois (!) un même disque : un vinyle dans les années 80, puis un CD dans les années 90/00 et là ils le rachètent en vinyle. Enfin, et c’est là le plus intéressant et encourageant : les plus jeunes, entre 15 et 25 ans. Cette génération n’a pas (ou peu) connu le CD. Leur éducation musicale s’est faite en ligne, avec un accès (presque) illimité à un géant jukebox mondial. Ils ont une très large culture musicale, mais en mode « google » : ils connaissent énormément de groupes et de styles musicaux, mais en « surface ». Se mettre au vinyle leur permet justement de découvrir un artiste et un disque dans son ensemble. Ils viennent souvent à plusieurs : ils échangent et écoutent ensemble. Ce temps passé chez le disquaire est aux antipodes de l’acte d’écoute musicale au casque derrière son ordi ou son téléphone. C’est très positif. De manière générale, on a l’impression que les gens veulent consommer « moins, mais mieux ». Reprendre le temps d’écouter. On remet le cérémonial dans l’acte d’écoute. Crédits Photo : www.la-receptionniste.com / Nadege Soquet