Eric Malavergne était concepteur-rédacteur dans la publicité. Philippe Anton s’était dirigé vers le commerce et l’ingénierie avant de monter sa première maison de couture. Un jour, ils décident de quitter leurs métiers respectifs pour lancer la marque CORIUS Paris, une maison française de maroquinerie de luxe. À travers leur parcours, Spanky Few vous présente une nouvelle expérience de reconversion. Parlez-nous de CORIUS Paris. L’origine du nom, le développement du projet… E: L’histoire est assez simple. Pour nous, le cuir a toujours été une passion et l’univers du luxe, une source d’inspiration. L’un comme l’autre, nous avions des choses à exprimer, et au travers de cette marque, nous avons trouvé un moyen de le faire. P: Nous avons donc créé Corius Paris, maison de maroquinerie de luxe et nous proposons une gamme de ceintures et bracelets en cuirs exotiques. CORIUS vient du latin et signifie “les cuirs”. Nous travaillons exclusivement des peaux précieuses et exotiques, tu comprendras l’évidence de ce choix quant à notre marque. Au début de vos carrières, imaginiez-vous tout lâcher pour faire un métier lié à la mode et à l’artisanat ? P: La mode est un business familial depuis plusieurs générations. Et bien que mes études m’ont porté vers l’ingénierie et le commerce, j’ai toujours voulu créer ma propre marque. D’ailleurs, avant CORIUS, j’ai fondé et géré une maison de couture spécialisée dans les cuirs exotiques pendant 5 ans (LASVIII Paris). E: J’ai toujours été bricoleur. En admiration devant les artisans et ce savoir-faire un peu secret qu’ils se transmettent et qu’on ne retrouvera jamais dans un tuto YouTube. Mais à l’époque, je n’avais pas la conviction que c’était un métier d’avenir. Au fil de mes études, je me suis donc orienté vers quelque chose de plus “contemporain” et c’est comme cela que je suis devenu concepteur-rédacteur. Pourquoi avoir choisi cette nouvelle carrière? P: J’ai l’esprit entrepreneur et cette volonté de crée quelque chose par moi même. Au-delà de ça, il y a l’envie de perpétrer le savoir-faire français, de revisiter les codes de la mode et surtout, d’être libre dans mes prises de décisions. E: J’ai ressenti le besoin de fabriquer quelque chose de concret avec mes mains. Beaucoup de reconversions font suite à un « burn-out » ou à un rejet du système de l’entreprise. Quel a été le déclic pour vous ? P: C’est en partie pour cela. La vie d’entreprise limite la liberté de création. Porter ses propres responsabilités c’est être rattaché à une cause qui nous est chère, et cela permet de se recentrer sur l’essentiel. Déjà converti au préalable avec LASVIII, j’avais l’envie de continuer l’aventure sur un nouveau segment du marché de la mode. E: Professionnellement, la pub est un des rares secteurs qui permet autant de rencontres et d’interactions avec des métiers totalement différents. C’est certes un milieu très prenant, épuisant parfois, mais dans lequel on gagne bien sa vie, et c’est pour beaucoup l’essentiel dans un travail. Mais on peut avoir envie de changement sans forcement passer par un burn-out. Il suffit parfois d’un ami persuasif qui vous met au défi de fabriquer une ceinture… Quelle a été la réaction de vos proches en apprenant que vous alliez quitter un emploi confortable pour vous lancer dans un secteur inconnu ? Et celle de vos anciens collègues ? P: Ma famille m’a éduqué dans ce sens. J’ai toujours été soutenu et encouragé par mes proches et ma compagne. L’entrepreneuriat est une question de valeurs et d’objectif de vie, pas une question de confort. E: Beaucoup de soutien de ma compagne et de ma famille, sans qui le chemin aurait été bien plus rude. Pour les amis et les collègues, petite surprise pour certains, mais pour la plupart ils savaient que j’allais devoir le faire un jour ou l’autre. À quels défis avez vous été confrontés ? On pense notamment aux problématiques financières que peut entrainer un changement professionnel comme le vôtre. P: Le regard des autres change ainsi que le positionnement dans la société. Les gens jugent beaucoup et c’est un défi de leur prouver que l’on est capable de faire quelque chose de soi même indépendamment d’une entreprise déjà présente sur le marché. E: Personnellement, je me suis mis à la compta. Je sors moins, je compte les pièces et les fins de mois sont difficiles, mais c’est ce qui fait le charme de l’entrepreunariat non ? Mis à part les finances, j’ai appris un nouveau métier. Il a fallu que je me forme sur les cuirs et les techniques de fabrication. Ensuite il a fallu construire notre atelier, développer nos propres outils, designer nos modèles, faire le branding de notre marque, créer le site… les défis sont quotidiens! Eric, ce changement de vie a été une source de crainte pour toi ou as-tu tout de suite été soulagé d’avoir trouvé un projet professionnel qui te convienne ? Pas de crainte ou de soulagement, c’est juste un chemin différent avec plus de responsabilités et moins d’argent ! On dit que le milieu de la mode est un milieu difficile, surtout pour ceux qui ont peu d’expérience. Qu’en pensez-vous ? E: Au-delà de l’expérience (Philippe avait déjà travaillé 5 ans dans la mode) , c’est l’argent qui rend ce milieu difficile. Si on avait pu financer une campagne de lancement multicanal/TV/ Presse etc., les choses auraient certainement été plus faciles, mais ce n’était pas le cas. Nous avons dû être plus rusés, plus débrouillards et cela demande beaucoup plus d’efforts. Mais la satisfaction du travail accompli est une bonne récompense! Comment vous sentez-vous aujourd’hui vis-à-vis de cette reconversion ? Quel bilan en tirez-vous pour le moment ? P: Aucun regret. Ne serait-ce pour tout ce que j’ai appris professionnellement et humainement parlant. Et c’est très constructif d’un point de vue personnel. On apprend beaucoup plus sur soi-même. E: J’ai appris beaucoup en peu de temps et je suis content de me lever le matin. L’heure du bilan n’est pas encore arrivée, mais pour l’instant je ne vois que du positif. Il ne faut jamais se relâcher et continuer d’avancer, mais c’est toujours plus facile quand on travaille pour soi. Comment expliquer que de plus en plus de cadres changent de vie et se reconvertissent dans la filière artisanale ? E: Probablement l’envie de se mettre au vert, de laisser la cravate à la maison et de faire retomber la pression psychologique. L’envie peut-être de ne pas dépendre de l’avis de dizaines de N+ quelque chose pour mener à bien un projet. C’est une forme de simplification de vie. Pensez-vous que des parcours tels que les vôtres contribuent à revaloriser la filière artisanale, parfois injustement considérée ? E: Je ne pense pas que la filière a besoin d’être revalorisée. L’artisanat français jouit d’une bonne réputation et les touristes ne jurent que par lui. Ce que nos parcours nous ont apportés, c’est les outils pour créer une véritable marque avec un univers associé au caractère unique de nos produits.