« Cette vie a été vécue par un professionnel, n’essayez pas de la vivre chez vous« . C’est le conseil que donne Philippe Permanne Mansuino au dos de son roman, Le jeu de l’égo. Et c’est aussi une phrase qui nous trotte dans la tête depuis qu’on l’a lue, tant elle semble juste. Cet écrivain a choisi l’auto-édition pour ce premier roman qui jongle entre sensibilité et humour. Nous avons rencontré Philippe Permanne Mansuino qui – en fin observateur de ses contemporains et de la vie en général – nous offre ses réflexions sur la littérature. Entretien avec un écrivain à découvrir de toute urgence.

photo

Hello Philippe, peux-tu nous parler de ton parcours ?

Un parcours d’une banalité déconcertante. Né dans une petite ville de province dans une famille moyenne. École sans histoires et sans efforts. Une crise d’ado dont je ne suis jamais vraiment sorti. Une envie d’être chanteur de rock jamais vraiment poussée. Une fac d’anglais et une école de commerce pour rassurer maman et, pris par le monde, on enchaine les postes internationaux en finance puis achats, un peu de voyage, un peu de responsabilités, un peu d’argent, un peu d’amour, et beaucoup de vide.

La littérature t’a-t-elle toujours attiré ?

J’ai commencé par écrire avant de lire. Atteint très tôt du syndrome de Calimero, je trouvais que tout était beaucoup trop injuste et je ne me privais de l’écrire haut et fort dans des cahiers (qui ne sortaient pas de ma chambre). Cette habitude ne m’a pas quitté et finalement quelqu’un (ma mère ? Un ennemi de maternelle ?) s’est emparé d’un de ces cahiers et l’a mis en ligne.

En terme de lecture, ça n’a pas commencé avec la littérature avec un grand « L ». Ado, je suis tombé « dans » le Seigneur des Anneaux  et j’ai adoré la façon dont j’ai été happé et projeté dans un autre monde (il était vital, à l’époque, que je puisse changer complètement de monde et y rester le plus longtemps possible). J’ai ensuite enchaîné les romans médiévaux fantastiques avant d’élargir doucement mes lectures à d’autres genres.

Malgré avoir lu depuis des essais et des thèses, je dois confesser mon amour inconditionnel pour les romans : il n’y a finalement rien de plus efficace pour faire passer un message, pour provoquer des réflexions… Un bon roman c’est un peu comme une expérience réelle : on assimile des choses sur d’autres plans que le simple plan intellectuel. C’est en lisant des romans que je me suis dit qu’au lieu d’écrire des réflexions denses et difficiles, il était sans doute plus judicieux (et plus amusant) de fournir au lecteur les éléments lui permettant de construire sa propre réflexion (ou émotion) en racontant une histoire. Ça, c’est la théorie, la mise en pratique est sensiblement plus laborieuse…

Quels sont les auteurs que tu admires et qui t’inspirent ?

Comme dit, beaucoup de mes plus anciennes références sont du domaine de l’Heroic Fantasy et de la SF. Ces genres sont le royaume des auteurs anglo-saxons et j’ai la chance de pouvoir les lire en version originale. Nombre d’auteurs correspondent à des périodes de ma vie, et même si j’en suis parfois revenu depuis, j’admets que je dois mon salut à certains d’entre eux,  soit parce qu’ils m’ont soustrait à une réalité que je ne supportais plus, soit parce qu’ils m’ont donné suffisamment d’énergie pour l’affronter.

Hormis Tolkien, qui a une place à part, David Eddings et Terry Brookes ont été les compagnons les plus assidus de mon adolescence, avec les tubes de crème Clearasil. Je dois mentionner Raymond E. Feist pour Magician, un voyage qui emmène graduellement à la limite de la compréhension humaine. Robert Jordan a créé dans sa série Wheel of Time un monde riche et complexe (il s’est d’ailleurs perdu dedans, la saga de 12 volumes de près de 800 pages, toujours pas terminée). Terry Goodkind et sa saga Sword of Truth ont abordé, sous couvert d’un monde magique, des aspects d’une nature bien humaine, avec une justesse et une force rare, tous genres littéraires confondus. David Zindell dans sa trilogie SF qui commence par Neverness, produit une série d’une profondeur remarquable sur ce qui définit l’espèce humaine et sur son devenir possible.

Je suis un fan absolu de Stephen Donaldson, de sa série Chronicles of Thomas Covenant, the Unbeliever  et de sa série GAP : véritablement des sommets  dans le traitement psychologique des personnages en situations désespérées, tout en faisant preuve d’une immense créativité pour les histoires et les univers : quand je serai grand je voudrai être capable de ça. Une pensée particulière pour Tad Williams qui est l’auteur de brillantes séries dont ma préférée est Otherland, une des plus belles saga cyber à mon avis.

Dans les classiques américains je suis fan du chef-d’œuvre Le cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers. Mais il y en a tellement d’autres…

Pour parler un peu de la France, je me suis découvert sur le tard un goût pour le roman français, intimiste, que certains trouvent nombriliste et prétentieux. On y lit souvent avec gourmandise une langue française admirablement maitrisée et qui rend belles et intéressantes des situations qui ne le sont pas toujours. Le roman français, c’est Les secrets de l’univers sont quelque part dans mon appartement : je confirme. Parmi les nombreux auteurs que j’apprécie, je mentionne juste Muriel Barbery et son délicieux L’élégance du hérisson qui explique avec talent que la pensée a besoin de la vie, mais que la vie n’a pas besoin de la pensée, et Michel Houellebecq pour Les particules élémentaires, une vision d’une force et d’une justesse rares. Mais là aussi, il y a en tellement d’autres.

Couv

Parle-nous de ton roman, Un jeu de l’égo

Un peu difficile de parler de mon roman après avoir parlé de mes auteurs préférés. Soyons clairs, je ne me place pas sur le même plan. Un jeu de l’ego est une fiction qui se passe dans future proche. En substance, Fred, alors qu’il n’a rien demandé,  se trouve confronté à la problématique suivante : que faisons-nous de notre courte vie et est-ce que l’immobilisme est une bonne réaction face à un monde qui va vite et pas forcément dans la direction que l’on souhaiterait. On suit la vie de Fred pendant une trentaine d’années palpitantes, pendant lesquelles il fait preuve d’une créativité et d’une sagesse sans bornes pour tenter d’atteindre la sérénité.

Pourquoi avoir choisi l’auto-édition ?

Je ne pensais pas éditer ce livre un jour. Croyez-le ou pas, je ne l’ai pas écrit pour qu’il soit lu. Son édition correspond plus au marquage d’un changement de cycle personnel. De plus, à supposer que j’eut intéressé un éditeur, celui-ci aurait à coup sûr (et sans doute justement) demandé des changements significatifs du manuscrit, chose que je n’étais pas prêt à faire. Pas envie de changer une virgule + pas besoin de lecteurs = l’auto-édition était faite pour moi.

Quel est le bilan de ton expérience avec l’auto-édition ? Le referais-tu pour un deuxième roman ?

Comme dit, l’auto-édition était parfaite pour ce que je cherchais à faire. Un deuxième roman serait fait dans une tout autre optique que le premier. Dans ce cas là, je chercherais avant tout à faire quelque chose que des lecteurs auraient plaisir à lire, et que je souhaiterais les plus nombreux possibles. Pour cela je serais prêt à me plier aux « suggestions » d’un éditeur pour peu que cela ne compromette pas l’âme du roman, ni son message. Dans ces circonstances je devrais me poser la question : quelle est la meilleure façon de trouver le bon conseil puis de marketer son livre ? Il n’y a pas si longtemps j’aurais opté pour les éditeurs traditionnels, aujourd’hui je ne suis plus tout à fait sûr de la réponse.

On parle beaucoup de la crise culturelle, en particulier dans la musique et le cinéma. Qu’en est-il de l’édition ?

On se trompe : il n’y a pas de crise culturelle, il y a une crise du business traditionnel de la culture. Je pense au contraire qu’il y a un aspect positif à ce changement : l’accès des masses à la production culturelle et à sa diffusion. Il devient de plus en plus difficile de créer des stars de la culture et c’est tant mieux. Il devient de plus en plus difficile d’être riche et même de vivre de son art et c’est tant mieux : ceux qui le faisaient dans cette intention partiront vers d’autres business, et n’appauvriront en rien l’art et la culture.

Il serait peut-être temps de remettre l’église au milieu du village, l’art et la culture n’ont pas vocation commerciale : on peut en faire commerce, mais ce n’est pas leur raison d’être. Et malgré une intelligentia qui s’accroche, l’art et la culture ne sont plus l’apanage d’une élite : des écrivains, des artistes des musiciens, meilleurs que tous les autres.

Dans le passé, les artistes de toutes disciplines et les intellectuels étaient peu nombreux. C’était parce que peu avait accès à l’éducation et encore moins avait le loisir de devenir des artistes. Et puisqu’il fallait emprunter certaines voies pour avoir un auditoire, les contrôleurs de ces voies avaient un contrôle absolu sur ce que devait être l’art et la culture. Maintenant que d’autres voies sont ouvertes, ils regrettent le temps où la culture était imposée par une élite, mais ils sont bien les seuls à le regretter. Quelle qualité d’art, de tous les arts, aurait été produite si au lieu de quelques centaines, quelques milliards d’individus avaient eu accès aux mêmes moyens ? Combien de Mozart ? Attention, je ne dis pas que Flaubert n’avait pas de talent, je me demande combien d’autres en auraient eu autant si des milliards de personnes avaient été dans sa situation. Et que se serait-il passé si chaque année, plusieurs milliers d’ouvrages de la qualité de Madame Bovary étaient publiés ? Se rappellerait-on de Flaubert ? Dans un tel monde, nous le voyons, ce n’est pas nécessairement le plus talentueux qui sort du lot, ce n’est pas du meilleur dont on se souvient.

S’il y a une crise de la culture, ce serait celle de la massification de la culture, de son infinie diversité et de son anonymat. Peut-on parler de culture quand il y a une infinité de cultures ? Métaphore agricole : la culture c’est quand on a aménagé un espace où l’on fait pousser la même plante. Si sur un terrain il y a une grande diversité de plantes qui poussent, on peut peut-être parler de nature, mais pas vraiment de culture… Je n’arrive à dire si c’est important ou pas, mais c’est un autre débat.

Avec l’explosion du digital notamment, les maisons d’édition doivent-elles évoluer ? Quel nouveau modèle doivent-elles adopter ?

Restera-t-il d’autres éditeurs qu’Amazon, Google et Apple dans 10 ans ? Je n’en suis pas sûr. Un auteur trouve-t-il une audience quand tout le monde est auteur ? On peut imaginer que devant cette densité d’offre le lecteur soit perdu et se tourne vers des « aides à la décision » comme le pendant digital du bouche-à-oreille que sont les blogs, et peut-être aussi vers d’autres conseillers et les labels qui sélectionnent ce qu’ils savent leur correspondre. Plus que jamais les maisons d’édition doivent être un gage d’une certaine qualité, d’un esprit, d’un genre, d’une école ou approche,  voire d’un bouquet de valeurs, intellectuelles ou non.

Le support importe peu, les éditeurs doivent devenir des marques au sens propre et noble : des repères, des guides, un peu ce que sont les collections aujourd’hui, mais en plus fort. Et on verra que les auteurs souhaiteront être labellisés, pas seulement par intérêt financier, mais en signe d’appartenance. Dans un monde où les auteurs sont légions, et où ils ont une audience potentiellement mondiale, et les lecteurs ont le choix de leur culture, la nécessité d’appartenance se fait impérieuse pour prévenir l’errance.

As-tu des projets littéraires pour le futur, nous pensons notamment à un nouveau roman ?

J’ai dans les cartons environ une dizaine de projets plus ou moins anciens, plus ou moins avancés. Il y a fort à parier que la plupart ne voient pas le jour, mais j’en ai quelques-uns qui me tiennent vraiment à cœur. En ce moment, je travaille à la fois sur un deuxième roman « français » et sur un thriller fantastique écrit à quatre mains. Il s’agit de deux projets complètement différents, ce qui me permet de les mener de front, et j’espère les finaliser cette année.

4e couv