Wai-Ming Lung est directeur de création et blogueur culinaire. Grand voyageur et grand hédoniste, il nous parle de son parcours, de ses projets et de ses coups de coeur avec expertise et… impertinence. Wai-Ming Lung Salut Wai-Ming, peux-tu nous parler de ton parcours ? Après des études aux Arts Décoratifs de Paris, j’ai travaillé en tant que styliste avec des gens comme Christian Lacroix, Alber Elbaz ou Joseph Ettedgui. Mais j’ai toujours été touche-à-tout, aussi pendant mon cursus, n’ai-je eu de cesse d’expérimenter la photographie, le graphisme, l’architecture intérieure ou même l’écriture qui est longtemps restée un jardin secret. Par exemple, en première année, j’avais créé avec des amies un magazine consacré au rock indépendant qui me permettait de combiner l’écriture et la photographie via les concerts et les interviews. Je crois que, dès le départ, je voulais être aussi complet que possible. Pourquoi t’être dirigé vers la direction de création ? Parce que la mode ne m’intéressait finalement pas en tant que tel, parce que je préfère consommer la mode ou le luxe plutôt que de les produire. Parce ce que je suis plus attiré par l’image que le produit fini. La fonction de directeur de création permet de mettre en application mon approche multidisciplinaire. Envisager mon travail comme du simple graphisme serait infiniment réducteur, voire vexant. S’il est vrai que j’aime mettre la main à la pâte, créer des univers de marque, en définir la sémantique, écrire des histoires, cela ouvre des perspectives bien plus larges et par conséquent bien plus passionnantes. Tu as fondé le studio Dog Man Star, peux-tu nous en parler ? Dog Man Star, c’est ma résidence secondaire depuis plus de 9 ans. J’ai créé cette structure parallèlement à mon travail en agence (OgilvyOne, DDB), pour pouvoir exercer mon métier comme je l’entends, et pour développer des projets que des agences classiques refuseraient pour des raisons financières ou philosophiques. Ainsi grâce à un positionnement très « boutique », j’ai pu travailler de la même manière avec des grandes marques comme Meetic, les hôtels Accor et Tag Heuer – c’est-à-dire main dans la main – qu’avec des structures plus « niche » comme Strada Bikewerk qui conçoit des motos premium en séries limitées, ou actuellement avec Cogemad, une société spécialisée dans l’immobilier d’exception pour créer des univers visuels. Quel est le projet dont tu es le plus fier ? C’est toujours le prochain. Wai-Ming Lung Tu es aussi blogueur culinaire. Comment concilies-tu ces deux activités ? En 2004, le blog était un outil naissant qui avait naturellement attiré l’attention du plumitif que j’ai toujours été. Adorant voyager, il était presque évident que je franchirais le pas à un moment ou un autre. Aujourd’hui, après 6 ans d’activité et plus de 350 articles publiés, MrLung.com constitue aussi bien une activité à part entière qu’une vitrine éditoriale pour Dog Man Star qui en est l’éditeur. L’avantage de la gastronomie, c’est qu’on se nourrit forcément tous les jours, donc potentiellement, je travaille à chaque repas, ça optimise le temps passé. Ton activité de blogueur t’a-t-elle déjà apporté des clients pour de la direction artistique ? Ou vice-versa ? Bien entendu, un de mes objectifs actuels est d’arriver à concilier un métier passionnant avec une passion qui n’est pas mon métier. Penses-tu un jour te consacrer uniquement à ton blog ? Non. Ce n’est pas comme si j’avais un site de recettes susceptible d’intéresser des dizaines de milliers d’internautes par jour. La chronique gastronomique sur un blog est une activité qui ne saurait être très rentable sans revente du contenu, ou pige pour des supports plus importants, ce qui compromettrait à coup sûr ma liberté de ton qui en est l’ADN. Ou alors il faudrait que je propose des services ou des conseils associés. Est-ce souhaitable ? La question est posée. Tu parcours le monde entier à la recherche des meilleurs restaurants. Quel est ton plus gros coup de cœur et quel est ton dernier coup de cœur ? Les coups de cœur sont toujours impromptus. Ils sont extrêmement subjectifs et liés à des facteurs impossibles à maîtriser, c’est comme tomber amoureux. Ainsi, j’ai toujours en mémoire des œufs au plat que j’avais mangé sur la terrasse d’un moulin à huile d’olive en Ardèche en 2009, ou encore le goût des raviolis de crevette de chez Mak Noodles à Hong Kong, que j’engloutis généralement dès mon arrivée, tout de suite après avoir posé mes valises à l’hôtel. Mon dernier coup de cœur parisien a été pour l’Atelier Rodier dans le 9e à Paris, où j’ai pu déguster l’un des meilleurs Paris-Brest de 2013. Avec des émissions comme Masterchef et avec la prolifération des blogs culinaires, on a le sentiment que chacun est un chef dans l’âme. Qu’en penses-tu ? Je pense que c’est grotesque. Pas les blogs culinaires qui sont des lieux d’échanges, mais Masterchef. Tout le monde a un appareil photo, mais tout le monde est-il Cartier-Bresson pour autant ? Le métier de chef est très dur et ne se résume pas à un plat que l’on fabrique lors une émission télé. C’est 8544 fois plus dur. Il faut être capable de concocter ce même plat, avec la même qualité et la même intensité tout au long de l’année, 6 jours par semaine, avec 4 services par jour. Tout le monde peut réussir une photo ou un plat. Mais 6 fois 4 fois 356 (8544 donc), non. Une fois de plus, la restauration est un métier qui n’a rien à voir avec la société de spectacles. Pour certains, la crise incite les gens à se tourner vers des valeurs sûres comme la cuisine. Est-ce un phénomène que tu ressens ? Le rôle sociétal de la nourriture et l’impact de la crise, ce n’est pas trop mon problème. Mais je sais que des magazines comme le Fooding existent depuis 10 ans, et que des mouvements de fond s’agitent depuis bien avant la crise financière de 2008. À l’étranger, dans les pays anglo-saxons comme en Asie, les gens font la queue devant les restaurants du moment, quitte à réserver des mois, voire des années à l’avance. Au Japon, dans un restaurant de ma connaissance, l’attente était tellement longue que certaines personnes sont mortes avant d’avoir pu honorer leur réservation. Le phénomène est plus récent en France, certes. Mais doit-on l’attribuer à la crise, à la mondialisation ou à l’information ? Quels sont les restaurants qui vont buzzer en 2013 ? À Paris, tout le monde parle de Roseval ou de la Pascade. Le Lobster Bar cartonne car ça change des sempiternels burgers et hot dogs. Au niveau international, on peut se demander si Noma va être détrôné de sa place de « meilleur restaurant du monde » après le scandale du norovirus, et si El Celler de Can Roca va en profiter pour rapatrier ce titre en Catalogne. Mais soyons clairs, le buzz pour le buzz m’ennuie profondément. Je ne cours pas après la nouveauté ou The Place To Be, mais le plaisir. Je préfère mille fois un Bistrot Paul Bert – qui est un bistrot traditionnel dans son jus et sa générosité – à certaines tables dans le 9ème que je ne nommerai pas et qui baignent dans l’autosatisfaction. Par ailleurs, il éclot des projets de partout au quotidien, ce qui est un signe fort quant au dynamisme du secteur, aussi préfèrerai-je laisser aux commères le soin de faire le buzz. Ça aussi, c’est un métier. Wai-Ming Lung