Si vous ne connaissez pas Beyond Croissant, vous n’allez pas tarder à entendre parler. Cette jeune start-up crée par Aurel et Sarah-Lou propose des rencontres multiculturelles et surtout, culinaires. Rencontre avec deux passionnées de cuisine et de voyage. Beyond Croissant Bonjour les filles, pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Aurel : Tentons la version courte… Bac arts plastiques, licence de droit général, maitrise de droit public, SciencesPo où j’ai rencontré Sarah-Lou, entre-temps pas mal de musique avec mes différents groupes, pas mal de web et d’entrepreneuriat avec différentes start-ups… J’ai travaillé pendant quatre ans en juridiction commerciale et pendant un an et demi dans deux cabinets d’avocats d’affaires internationaux avant de réaliser que j’avais vraiment besoin de faire un gros pari entrepreneurial. Je suis donc partie en rupture négociée sans savoir où cela allait me mener. Quelques mois plus tard, j’allais prendre un café chez Sarah-Lou qui me parlait de son idée, nous nous sommes mises à y travailler ensemble, et nous voilà ! Sarah-Lou : Un peu comme Aurel mon parcours s’est construit au fil des rencontres et des expériences. J’ai commencé par faire mon Éducation sentimentale sous les grands marronniers du lycée Lakanal de Sceaux où j’étais en hypokhâgne et khâgne. J’ai ensuite travaillé mon « Oeil et [mon] Esprit » en licence de philo à la Sorbonne. A l’époque, comme de nombreux étudiants en sciences humaines, je souhaitais travailler « dans l’édition ». Des stages dans le milieu m’ont permis de découvrir les problématiques de droit d’auteur. J’ai donc intégré un master de Propriété intellectuelle à Sciences Po avant de passer le barreau. Aujourd’hui, en plus de mon activité au sein de Beyond Croissant, je suis élève avocate… mais je suis irrésistiblement rattrapée par ma passion pour les bons produits, les voyages et l’envie de contribuer à mon échelle à la promotion d’un tourisme plus gourmand, plus convivial et solidaire. Du droit au food, il n’y a qu’un pas ? Aurel : Pour Sarah-Lou ce sera sans doute du food au droit ! Sarah-Lou : Effectivement ! Ceci dit, même si j’aimerais bien vous dire que je suis tombée dans la marmite quand j’étais petite, c’est en fait une passion qui m’est venue assez tard. Dans ma famille, on ne cuisinait pas trop et les repas étaient souvent pris à la va-vite. Et puis au lycée, le déclic ! Je me trouve une bande de copines gastronomes avec lesquelles nous commençons à organiser de grands dîners. Je découvre le travail passionné des artisans, les plaisirs de la table et les dîners qui finissent au petit matin après des discussions sur la-vie-l’amour-la-mort. Plus que la cuisine en elle-même (je suis trèèès loin d’être une chef), je suis surtout respectueuse et admirative du travail des producteurs, éleveurs, artisans qui se battent pour que nous puissions toujours avoir sur nos tables des produits de qualité… Ce goût m’a ensuite toujours servi dans la vie professionnelle que cela soit lors de mon oral de Sciences Po lorsque le président du jury m’a demandé ce que je lui cuisinerai pour le convaincre de m’accepter en master ou en entretien d’embauche, lorsque les recruteurs sont intrigués par la mention « association d’œnologie » en bas de mon CV. Aurel : De mon côté, je ne suis pas du tout une « foodie », je n’ai même pas de plaque chez moi, mais d’une part je me soigne (Sarah-Lou est une cure à elle toute seule), et d’autre part j’ai toujours beaucoup aimé recevoir du monde et rencontrer de nouvelles personnes, surtout dans des contextes improbables. A ce jour, je n’ai pas trouvé plus improbable que de les rencontrer directement chez moi autour d’une bouteille de vin et d’un bon plat. Et jetez un œil à nos CGV, un chef-d’œuvre m’a-t-on dit, on voit bien que le droit mène à tout ! Vous avez créé Beyond Croissant, quel est le concept de cette nouvelle start-up ? Sarah-Lou : Pour faire simple, le concept de Beyond Croissant est de réinventer le dîner chez l’habitant. L’idée peut paraître un peu ringarde pourtant il n’y a pas mieux que la table pour rencontrer les locaux lorsqu’on voyage et dépasser les clichés. Même si on ne parle pas la même langue, la cuisine est un langage universel qui permet à tous de faire connaissance, un peu comme des enfants qui ne se connaissent pas et, mais qui apprennent à jouer ensemble en inventant leurs propres moyens de communication. Concrètement, le site permet à chacun, partout dans le monde, quels que soient ses talents de cuisinier ou la taille de son domicile, de partager un moment de son quotidien avec des « FoodFellows » du monde entier. Les FoodHosts (hôtes) s’inscrivent sur le site et complètent leur profil en répondant à quelques questions et en précisant les prix et suggestions qu’ils souhaitent proposer. Si un FoodGuest souhaite s’inviter chez un FoodHost, il lui envoie une demande d’invitation pour une date donnée en mentionnant d’où il vient, avec qui (en famille, entre amis, seul…), ainsi qu’une des formules prix et une suggestion proposées par le FoodHost. Celui-ci est sensé lui répondre dans les 24 heures. Si le FoodHost est disponible, le FoodGuest accède à un système de paiement en ligne, et les coordonnées personnelles sont rendues disponibles. Le FoodHost peut aussi proposer une autre date, ou simplement refuser sans avoir à se justifier : pour cette raison, nous invitons les FoodGuests à ne pas hésiter à solliciter plusieurs FoodHosts. Aurel : L’essentiel est dans le « Real Food, Real Places, Real People ». Nous privilégions la convivialité sur le concours de cuisine, et souhaitons un site accessible au plus grand nombre de personnes, de l’étudiant à la mère de famille, côté FoodHost comme côté FoodGuest. Pour cela, nous avons élargi les cibles au maximum, tant que les personnes concernées sont curieuses et ouvertes sur le monde: pas seulement les touristes, mais aussi les voisins, les nouveaux arrivants, les étudiants en échange, etc. L’inconnu et les clichés à dépasser sont partout. Pourquoi avoir imaginé un tel projet ? Aviez-vous vous-même envie de partager des repas avec des gens venus du monde entier ? Sarah-Lou : En fait, le projet s’est monté sur l’envie assez égoïste d’être cliente de ma propre boîte et de pouvoir aller manger chez l’habitant partout dans le monde lorsque je voyagerai. L’année dernière, mon mec était expat’ en Corée du Sud. Je le rejoignais souvent, nous étions bien intégrés dans la communauté d’expat’ mais c’était difficile de rencontrer des locaux. Je rêvais d’une solution qui me permettrait d’aller dîner dans les familles, de découvrir la cuisine locale ailleurs qu’au restaurant, de pouvoir discuter avec les gens et de découvrir un peu de leur quotidien. De façon plus générale, je suis très admirative de toutes les initiatives qui animent le monde de l’économie collaborative en proposant des solutions pour consommer autrement et œuvrer pour une croissance durable. En montant notre projet, nous avions très envie de nous inscrire dans ce mouvement. De la même façon qu’il est important pour les pays les plus développés de réapprendre à manger moins, mais mieux, il est urgent de concevoir un tourisme moins low cost et moins speed tout en continuant à multiplier les échanges culturels. Aurel : Je partage tout à fait ce point de vue (encore heureux !), mais j’ajoute que ce qui m’a convaincue était le souvenir de mon arrivée à Paris et les récits de séjour Erasmus de ma sœur, où tous restaient entre Français, ou entre Erasmus, et passaient totalement à côté des habitants de la ville où ils se trouvaient – un comble. Beyond Croissant peut permettre à un nouvel arrivant dans une ville de se l’approprier plus facilement, c’est sans doute plus efficace et plus sympa d’aller se renseigner à la source que de passer des heures sur des forums à essayer de récolter des informations. Beyond Croissant Votre site est encore en version bêta, mais voyez-vous déjà apparaître des profils particuliers de FoodHosts ? Y a-t-il par exemple un pays où il y a plus de FoodHosts ? Aurel : Étonnamment, il n’y a vraiment pas de typologie. Toutes les tranches d’âge y sont, nous avons des étudiants, des retraités, des actifs, des couples, des familles… Après, ils sont tous particuliers ! Sarah-Lou : Nous sommes heureuses de constater que Beyond Croissant ne séduit pas uniquement les passionnés de cuisine. Si tous les FoodHosts apprécient la convivialité d’un repas, tous ne sont pas de grands chefs. Certains sont comblés (et comblent leurs FoodGuests) en faisant découvrir leur terroir grâce à de bons produits « prêt-à-manger» comme des fromages, de la charcut’, un plateau de fruit de mer… D’autres, au contraire, vous sortiront le grand-jeu en passant l’après-midi en cuisine… Chacun son style. C’est très important de conserver ces différences afin que les FoodGuests fassent une expérience authentique. Sinon autant aller au restaurant ! La rencontre idéale entre un FoodHost et un FoodGuest, comment ça se passe ? Aurel : Lors de mon premier repas Beyond Croissant, j’étais assez anxieuse, je me demandais vraiment si on parviendrait à trouver des choses à se dire, si le repas leur plairait, s’ils ne trouveraient pas mon appartement trop petit, etc. Et très franchement, j’ai passé une super soirée. Nous avions à peu près 20 ou 25 ans de différence d’âge, ils étaient curieux de savoir quel type de personnes peut bien accepter d’ouvrir sa porte à des étrangers, j’étais curieuse de savoir ce qu’ils aimaient faire ou non, d’où ils venaient, où ils allaient. On ne prend plus assez son temps de nos jours (moi la première), et une rencontre idéale c’est sans doute cela : accorder sa chance à un inconnu, avoir une occasion de lui montrer un peu de son quotidien, échanger des bons plans dans la ville, etc. Sarah-Lou : Comme le décrit très bien Aurel, la recette d’une rencontre idéale est un savant mélange d’inconnu et d’attentes communes. En choisissant de rencontrer un FoodFellow, il ne faut pas se fixer trop de critères (âge, standing…). L’anxiété de la rencontre est importante, car c’est là que se logent le dépaysement et la confrontation des cultures, moteurs de notre démarche. Mais cette anxiété ne doit pas se transformer en angoisse, c’est pour cela que Beyond Croissant veille à ce que certaines attentes soient communes : que les FoodGuests ne s’attendent pas à un repas gastronomique s’ils choisissent un repas vin-fromage, qu’une famille avec 4 enfants ne débarque pas chez un collectionneur de porcelaine… En tant qu’intermédiaire, c’est justement notre rôle de veiller au maintien de cet équilibre précaire. Comment comptez-vous développer Beyond Croissant dans les mois à venir ? Aimeriez-vous par exemple développer une food box sur le thème des produits du monde ? Aurel : Nous gardons un peu la surprise. Pour le moment, d’une part, nous incitons au maximum les candidats à l’aventure à créer leurs profils en ligne, partout dans le monde, et à accueillir des inconnus. D’autre part, nous invitons ces inconnus à se laisser tenter par l’expérience. Parallèlement, nous concluons quelques partenariats pour faire connaître des concepts complémentaires. Beyond Croissant n’en est qu’à ses débuts ! Sarah-Lou : Notre priorité reste l’organisation de repas partout dans le monde. Avant de développer de nouvelles idées, il est très important pour nous d’enrichir notre réseau de FoodHosts afin que le repas chez l’habitant puisse devenir un réflexe quelque soient les destinations. Dans un deuxième temps, nous aimerions développer des partenariats avec des producteurs dont nous admirons le travail. Le Croissant Bag est-il d’ailleurs une forme de food box ? Comment choisissez-vous les produits ? Sarah-Lou : Le Croissant Bag a des points communs avec les Food Box puisque chaque mois nous composons un assortiment 4 ou 5 produits alimentaires autour d’un thème. La démarche reste cependant très différente. En premier lieu, nous ne le commercialisons pas, mais l’offrons à nos FoodFellows les plus impliqués. Cela nous permet de sélectionner des produits plus librement, sans nous préoccuper de leur rentabilité par rapport au prix de l’abonnement et sans entrer dans une quête sans fin du produit le plus original qui démarque de la concurrence, mais encombre les placards. L’idée est vraiment de faire découvrir à nos FoodFellows des produits simples liés à une destination sans tomber dans le côté « corbeille de spécialités régionales vendues à l’aéroport ». Cela permet de valoriser le travail de producteurs, d’artisans, commerçants dont nous admirons les efforts pour privilégier la qualité sur la quantité. Beyond Croissant Si vous ne deviez choisir qu’un seul produit du monde ? Sarah-Lou : Un seul ? Le riz alors, mais sous toutes ses variantes : gluant, rond, fin, sauté, pilaf, frit… Ceci dit la honte ! Comme j’ai toujours eu un rice-cooker, je crois que je serai nulle pour le faire cuire à la casserole alors que c’est quand même la base. Aurel : De mon côté, ce n’est pas un scoop, je suis monomaniaque. Depuis quelques mois, c’est le nori coréen – ça tombe bien, il y en a dans Beyond Kimchee, le Croissant Bag du mois de novembre. Quand j’en aurai marre, ce sera autre chose, le suspens est à son comble. Que peut-on vous souhaiter à Beyond Croissant pour l’avenir ? Aurel : De belles rencontres partout dans le monde. Sans le côté Bisounours, je dirais sans doute que si nous pouvons voir dans quelque temps des personnes qui auront le réflexe de se dire « allons plutôt diner ensemble » au lieu de se bousculer dans le métro ou de s’ignorer dans un bar, on aura rendu le monde un peu moins moche. Et si je peux retourner à New York et passer par Beyond Croissant pour aller diner chez des New-Yorkais, je serai comblée. Sarah-Lou : J’adorerais que notre réseau d’hôtes se développe rapidement en Asie pour prouver que, contrairement aux idées reçues, les asiatiques reçoivent chez eux ! Comme ça, je pourrais aller dîner chez des japonais à Tokyo pour voir si leurs appart’ (j’ai bien dit leurs appart’) sont vraiment plus petits qu’à Paris ou si c’est encore un cliché ! Mais là c’est la cliente qui parle. En tant que cofondatrice de Beyond Croissant, je serai hyper fière que nous réussissions, à notre échelle, à donner envie aux gens de voyager autrement, de façon plus respectueuse des populations locales.