Si vous buvez un verre avec un(e) ami(e) qui pianote compulsivement sur son portable, il y a de grandes chances qu’il (elle) surfe sur Tinder. Fin 2014, les derniers chiffres officiels connus faisaient état de 2 milliards de « matches » depuis fin 2012, soit à peu près 10 millions par jour et de 850 millions de « swipes » par jour en moyenne. Comment ce croisement entre un réseau social et un site de rencontre a-t-il pu connaitre un tel succès en si peu de temps ? Pour le savoir, nous avons interrogé une utilisatrice des débuts. M. a trente ans, un bon job dans la pub et elle est le genre de femmes sur laquelle on se retourne dans la rue. Pas forcément le profil type (s’il en existe un) qu’on attendrait sur ce type d’application. Et pourtant, elle utilise Tinder quotidiennement et nous explique pour quoi. Comment en vient-on à s’inscrire sur Tinder ? Qu’est-ce qui coince avec les rencontres IRL qui fonctionne avec Tinder ? Quand je me suis inscrite sur Tinder, l’appli se lançait en France. Elle commençait à faire le buzz dans un cercle encore assez restreint qui correspondait assez bien à mon propre « lifestyle ». C’était surtout de la curiosité pour cette nouveauté sur le marché, vu que je connaissais déjà les sites de rencontres depuis un moment. Avec l’espoir qu’une appli encore pas trop connue aurait une audience de meilleure qualité, et les premiers mois, c’était le cas. Je ne pense pas qu’être sur Tinder signifie que quelque chose coince IRL. C’est juste un moyen de plus de faire des connaissances, qui vient s’ajouter à la « réalité » du quotidien. S’inscrire sur Tinder ça ne veut pas dire qu’on renonce à la rencontre IRL. Pourquoi avoir choisi Tinder et pas un autre site de rencontres ? Et pourquoi pas d’autres ? Je ne suis pas que sur Tinder… Mais disons que le concept de géolocalisation était nouveau. Le principe de devoir être 2 à se liker mutuellement aussi, même si ça reprend un peu le même principe qu’adopteunmec. Quand n’importe qui peut te contacter, tu te retrouves vite avec une boite de réception pleine de propositions étranges, qui te découragent de lire tes messages au bout du compte. De plus, l’appli est hyper simpliste et ergonomique, du coup je n’accroche pas trop avec les autres qui font tout de suite plus fouillis. On a le sentiment qu’il soit un peu moins « honteux » de faire des rencontres sur Tinder plutôt que sur Meetic ou sur Attractive World. Qu’en penses-tu ? Le fait de swiper, à mes yeux, rend la chose plus ludique, sur les autres sites de rencontres, il y a ce côté « je suis en recherche », je parcours les fiches, je lis les descriptions, je compare les qualités… non là, on se fait d’abord une idée de l’attraction physique, et on décide si on a envie d’en savoir plus via un dialogue. Pas de longues descriptions (plus ou moins) savamment rédigées pour se faire une idée de qui se cache derrière ces photos, là tu es obligé d’échanger si tu veux le savoir. Finalement c’est le même principe que d’aborder quelqu’un dans un bar. Meetic ou AttractiveWorld pour moi, il y a vraiment un côté « je suis là pour trouver le bon et vivre une relation sérieuse » et je n’apprécie pas cette façon de concevoir la rencontre. Je n’ai pas envie de rencontrer telle personne parce qu’elle peut éventuellement correspondre à mes plans pour l’avenir. J’ai envie de rencontrer cette personne parce qu’on a des affinités, et c’est le temps qui nous dira dans quelle direction la relation est amenée à évoluer. En revanche, Tinder a pour certains une connotation beaucoup plus « plan cul » que d’autres sites, donc pour eux, quand une fille est inscrite dessus, ça en dit long sur sa frivolité. Mais les avis des ignorants sexistes m’importent peu. Justement, quels sont les préjugés que peut avoir à subir un utilisateur de Tinder ? Plein ! « C’est nul/moche de rencontrer quelqu’un comme ça » « Ce n’est pas romantique » « Tu mérites mieux » … En quoi ce serait plus moche que de se pécho sous l’emprise de l’alcool (ou autre) lors d’une soirée de fête ? De plus, j’ai l’impression que certains voient ça comme une relation virtuelle, au lieu de le voir comme un moyen de créer des relations réelles. Quand je dis à mon pote que j’ai un date le lendemain, et qu’il me demande «Et donc, tu l’aimes bien ?» ça me fait halluciner ! Comment je peux répondre à ça avant même de l’avoir vu ? C’est comme si certaines personnes qui ne connaissent pas ces applis considéraient qu’à partir du moment où j’échange via Tinder avec quelqu’un, je suis engagée dans une relation avec. Du coup forcément le swipe a un côté malsain pour eux, car ça leur donne l’impression qu’on « enchaine » les relations. Le « tu vaux mieux que ça » a le don de m’énerver aussi. Les applis de rencontre ne sont pas exclusivement réservées aux cassos, et le fait que tu puisses penser que je fréquente toujours ce genre d’appli alors qu’on y trouverait que des débiles est révélateur de ce que tu penses de moi finalement. Une étude GlobalWebIndex a interrogé 47 000 utilisateurs de l’application. Il semblerait que plus de 40% des personnes seraient déjà en couple et 30% d’entre elles mariées contre 54% seulement de « vrais » célibataires. Tinder serait donc si addictif que les personnes en couple n’arrivent pas à décrocher ? Ce n’est pour moi pas un phénomène propre à Tinder. Je l’ai déjà vu avec d’autres sites de rencontre. Il n’y a qu’à faire une recherche Google « mon copain est toujours inscrit sur les sites de rencontres » pour se faire une idée. Ça peut être super addictif pour quiconque cherche une approbation via le regard des autres, ou juste à flatter son ego. Sans compter le choix ! Personnellement, dans la vie, je fais peu de nouvelles rencontres, donc j’aurais surement plus tendance à faire en sorte qu’une nouvelle relation fonctionne, car je ne suis pas sûre d’en retrouver une de si tôt. Là, on se retrouve avec la possibilité de rencontrer des centaines de personnes en quelques clics, et pour certains, il est difficile de choisir une personne et de renoncer aux autres. La peur de passer à côté de quelque chose de mieux, du coup on n’apprécie plus ce qu’on a. Et puis il y a aussi ceux qui assument leur infidélité, Tinder ou pas, ceux qui cherchent des plans à 3… Ne serait-ce finalement pas aussi difficile sinon plus, de rencontrer quelqu’un que IRL ? Aussi compliqué, si carrément. Plus, pas sûre. C’est la même chose finalement. On va rencontrer des gens qui ne nous correspondent pas vraiment, qu’on apprécie, mais sans non plus se projeter plus loin. S’emballer pour finir déçu. On va peut-être devenir plus exigeant du coup, du fait de tout ce choix. Mais le volume de rencontres potentielles compense. Personnellement, je trouve ça enrichissant, je rencontre des gens super intéressants, avec des goûts plus ou moins similaires, des personnalités proches de la mienne, des choses à me faire découvrir, peut-être davantage que IRL. Certains deviennent des amis. Après, il y a alchimie ou pas, c’est le même facteur intangible qui rentre en action, quel que soit le mode de rencontre. Alors oui au début, tu t’emballes, cette profusion de profils fait que tu en trouves toujours un qui te plait davantage. Mais au bout d’un moment, tu réalises qu’il n’y aura pas de miracle, et tu redeviens raisonnable. Peut-être même que si tu ne rencontres personne qui te plait vraiment, tu auras d’autant plus tendance à apprécier celui où celle qui te fera quitter Tinder. Est-ce au final plus rassurant de rencontrer l’autre à travers la barrière d’une application ? Disons que ça préserve un minimum. Je n’aime pas dialoguer des semaines avant une première rencontre, ça laisse trop de place à l’imagination et l’idéalisation. En revanche hors de question d’accepter un verre après un simple « salut ça va » (encore moins « sava ») Je fais en sorte d’en savoir un minimum sur la personne que j’ai en face de moi, notamment via l’humour, ultra important pour moi. Si on se marre ensemble via l’appli, j’ai quasiment l’assurance de passer un bon moment avec quelqu’un de cool. Donc même si ça ne donne rien d’un point de vue sentimental, je n’aurais pas perdu mon temps. Comme je l’ai dit je ne fais pas beaucoup de rencontres IRL, et c’est vrai que quand je me fais draguer en soirée, je n’ai pas ce filtre, et j’ai souvent le droit au boulet fin saoul de la soirée, ou au petit con qui croit qu’il va m’attirer en me rabaissant. Donc oui, Tinder ça rassure sur la qualité de l’échange. En ce sens, Tinder serait presque un outil sociologique ? Une mine d’or pour tout étudiant en psycho, je me suis moi-même parfois amusée à établir des profils types des mecs qu’on y croise, finalement les mêmes qu’IRL mais en condensé. Mais au-delà de ça, Tinder, même si ça ne m’a pour l’instant pas aidée à trouver l’amour, ça a le mérite de m’avoir fait beaucoup évoluer sur ma conception des rencontres, du couple, et de ce dont j’avais besoin chez un partenaire. Tinder est devenu un vrai phénomène de société puisqu’Amazon recruterait des cadres à travers l’application ? En tant qu’utilisatrice, qu’en penses-tu ? Je plains les RH qui vont devoir se taper le tri des messages… Source chiffres : http://www.gentside.com/tinder/tinder-deja-deux-milliards-de-matches_art62578.html