C’est par une journée pluvieuse qu’on a rencontré Nicolas Lebel dans un lieu improbable où on s’était rendu pour faire le plein de bouquins. Quelques paroles échangées, un livre conseillé et acheté et c’est le coup de coeur. Nous avions envie de vous parler (ou plutôt de faire parler) cet auteur qui entre humour et crimes, va compter dans le paysage du polar français.

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Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

J’ai fait des études de Lettres et d’anglais puis je me suis orienté vers la traduction, discipline qui m’a permis de conserver un contact avec les deux langues. Je suis parti en Irlande quelque temps avant de devenir professeur d’anglais. J’enseigne aujourd’hui dans un lycée parisien.

En ce qui concerne l’écriture, j’ai publié un premier livre chez un éditeur en ligne en 2011, une épopée en alexandrins… Puis un premier polar en 2012, L’Heure des fous, assez rapidement signé chez Marabout, sorti en 2013, puis un deuxième polar sorti en 2014 : Le Jour des morts. Mon troisième polar, et quatrième bouquin, devrait sortir l’année prochaine… Je vais tâcher de d’abord l’écrire.

D’où vous vient cet amour de la littérature ? Et du polar ? Quels sont les écrivains qui vous ont donné envie d’écrire ?

Le livre n’était pas un objet usuel à la maison. J’ai pourtant toujours lu, rarement ce que l’école voulait que je lise, mais j’ai toujours pris plaisir à lire. Ce n’est que tardivement que j’ai compris ce que j’avais lu, gamin. J’ai d’abord pris la plume par amour tout court. Pour écrire des lettres, puis des cahiers entiers à un amour de jeunesse ! J’y passais des heures, à écrire sur tout et n’importe quoi, à essayer de lui/m’expliquer ce que je ressentais pour elle… Puis j’ai commencé à écrire de la fiction, des nouvelles, des poèmes… Ça m’a amené à regarder de plus près comment les autres s’y prenaient. Ce ne sont donc pas des écrivains qui m’ont donné envie d’écrire ; en revanche, la maîtrise de certains m’a laissé sans voix : Je citerais volontiers pêle-mêle Maupassant, Poe, Shakespeare, Eco, H. Miller, Borges, Faulkner… Le polar est venu par la suite. Je connaissais mes classiques ! Mais j’ai vraiment redécouvert un genre avec Daenninckx, Pouy, Jonquet, puis Dantec, Lehane, Mankel…

Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ?

Les JT, les journaux, la radio : l’actualité sous toutes ses formes, même le fait divers le plus trash. Pas tant pour les faits eux-mêmes, mais pour l’image qu’ils renvoient de notre société. L’affaire dite de la petite Fiona m’a fasciné récemment. Non pas l’horreur des faits, encore une fois, mais les réactions en ligne d’une population prête à rétablir la peine de mort. Je vais beaucoup sur les forums pour prendre la température sociale. On y trouve une image monstrueuse de la réalité, c’est fascinant.

Vos personnages sont très typés, avec beaucoup de caractères. En quoi est-ce important dans la construction de vos récits ?

Mes flics sont censés être des redresseurs de torts, remontant à la source du crime pour en découvrir les coupables. Dit comme cela, ils pourraient n’être animés que pour les besoins de l’enquête, des êtres de raison voués à résoudre ou non une équation meurtrière. Je ne crois pas que cela soit très captivant. En faire des humains, c’est un vrai défi, d’autant qu’ils sont alors amenés à prendre parti face aux événements. C’est là souvent que ça se gâte… Par ailleurs, il s’agissait de doser : combien de flics à problèmes à notre époque, qui sont malades, blessés, veufs, amnésiques ou végétariens ! Je souhaitais rester dans une certaine tradition, mais aussi repousser leurs frontières : c’est ainsi qu’est né Mehrlicht…

Faire de l’anti-héros Mehrlicht une espèce de Maigret des temps modernes : identification voulue ou inconsciente ?

C’est tout à fait souhaité ! Mehrlicht est un stéréotype du flic français des années 50-70. Il agrège des éléments notoires des archétypes du genre : l’imperméable de Columbo, l’âge de Maigret, la clope de Bourrel, l’argot de Moulin… Ce sont précisément ces éléments qui font de Mehrlicht un personnage différent, parce qu’il est d’un autre temps, en décalage et en souffrance. C’est un petit homme rongé par la Gitane et par le deuil, à la peau jaune, à la voix éraillée, un homme fragile et cynique, vieillissant et obsolescent, raide et réac. Mais à la différence de ces archétypes, massifs, inflexibles et raisonnables, Mehrlicht est chétif et dans l’excès : l’excès de bouffe, de clopes, parfois de vin, et toujours de mots. C’est un personnage foncièrement excessif dans tout ce qu’il fait, ce qui, je crois, est un trait moderne. La force de ce personnage tient dans son décalage avec l’époque dans laquelle il vit, époque qu’il dénigre, moque et rejette violemment. Il est un fervent défenseur du «  C’était mieux avant », un farouche combattant de la technologie sous toutes ses formes, à commencer par « la télé qui rend con », pourfendeur impénitent de la malbouffe, de la société de consommation et de la connerie médiatisée.

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On lit vos livres comme on regarde un film, les dialogues sont notamment très visuels. Le roman polar et le film policier sont-ils indissociables pour vous ?

J’écris ce que je vois ! Nombre de scènes écrites ont été jouées et rejouées dans ma tête avant de prendre corps sur le papier. Je connais mes classiques du cinéma policier. Mais mes références en termes de polar audiovisuel lorsque j’écris, ce sont les (bonnes) séries. J’en suis totalement fan, ce qui explique que l’un des personnages cite régulièrement ces nouveaux formats. Et que certaines scènes sont écrites caméra au poing.

L’humour est également omniprésent dans vos récits. Comment l’allier aux fondamentaux du polar ?

Le polar est très humain. Comment faire face à la mort au quotidien sans être altéré, touché ? Mes personnages sont souvent cyniques. Parallèlement à l’enquête, Mehrlicht et son ami Jacques, mourant à l’hôpital, font des pieds de nez réguliers à cette mort qui rôde. Le légiste a un détachement inhumain devant les victimes, attitude qui fait de lui un monstre de sarcasme. L’humour nait aussi de la confrontation des personnages principaux ou secondaires lorsqu’ils ne se comprennent pas pour des raisons souvent purement sociales. Certains écrivent des polars pour y dépeindre la monstruosité insoupçonnée de l’Autre, mon voisin, mon frère… J’ai une approche plus humaniste du genre ; je préfère les rapprocher de leur voisin ! Le rire me semble un bon médium.

Peut-on s’attendre à un troisième volet des aventures de Mehrlicht et de ses collègues ? Quels sont vos projets littéraires pour les mois à venir ?

L’écriture d’un 3ème volet est en cours. Il clôturera certainement un cycle, peut-être même la série Mehrlicht. J’ai d’autres projets d’écriture, que ce soit en polars ou en blanche. C’est le temps qui me manque, pas les idées ni les envies… Ces prochains mois, je serai à différents festivals du polar ou du livre à travers la France, à Saillans, Nyons, Brive, Lens… Je serai à Liège pour la première fois en mars ! Mon premier salon international… Je plane !