Il y a quelques mois, la grève de Radio France apparaissait comme un bouleversement médiatique et (re)posait la question de l’avenir de la radio traditionnelle. Comment celle-ci peut-elle se réinventer à l’heure du numérique ? En 1982, la loi autorisait les radios libres à émettre et le paysage médiatique français s’en voyait révolutionné. Trente ans plus tard, l’avenir de la radio est sur toutes les langues, y compris au Sénat. En effet, la commission de la Culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a organisé le 13 mai dernier, « une table ronde représentative du paysage radiophonique avec le secteur privé, public et associatif ». Et au cœur des débats, l’avenir de la radio, et plus particulièrement l’arrivée de la RNT- Radio Numérique Terrestre à Paris, Marseille et Nice en juin dernier. Pour beaucoup, dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), la RNT est pourtant la seule solution concrète pour redynamiser le média radio. Pourtant, les français sont septiques. En effet, dans une enquête d’opinion réalisée par l’institut de sondage OpinionWay, 70 % des personnes interrogées considèrent que les « déplacements limités à une zone d’accès à Internet » constituent un frein important à l’écoute de la radio sur Internet. 67% du panel estime que « la nécessité de payer un accès Internet haut débit » pour écouter radio sur internet est très gênant. L’enquête révèle que l’absence d’anonymat (cookies, adresse IP) dérange 55% des personnes interrogées. Du côté des professionnels de la radio, dont Denis Olivennes de Lagardère Active, la RNT représente un gouffre. « Pourquoi, diable, se lancer dans ce projet ? Un produit numérique qui au bout de 20 ans a si peu de pénétration… Il faut s’interroger. N’ajoutons pas d’investissements inutiles. Nous commettrions une erreur sur cette technologie dépassée » Pour Pierre Bellanger, patron de Skyrock, le problème est surtout un problème de distribution. « Personne n’est satisfait de sa couverture y compris le Service Public. Continuons donc avec la FM, mais rendons-la égalitaire. Tout ce qui se crée aujourd’hui hors de l’lP est mort, sans espérance de vie » Mathieu Gallet, PDG de Radio France, a quant à lui été plus nuancé, parlant de contenus à revisiter. « L’avenir de la radio ? Je vais vous en parler en terme de contenus. Pour nous, cet avenir vise à préserver nos positions, voire à les renforcer. C’est une possibilité de développer nos offres et nos contenus. Le numérique doit permettre de rendre accessibles, au plus grand nombre, ces contenus. La radio, c’est mieux que l’internet, je suis d’accord… Mais, nous sommes dans une société de l’image afin de pouvoir atteindre notamment un public jeune (…) Il faut renforcer le programme d’écoute et de réécoute des programmes (…) Le numérique est une bonne façon de développer nos offres notamment pour Fip et France Musique » Plus que par une technologie, c’est donc le contenu qui permettrait aujourd’hui à une radio de se démarquer. La radio d’aujourd’hui doit également avoir la faculté de jongler avec Internet en tant que média et relai de conversation. Un phénomène qu’avait d’ailleurs compris Skyrock avec la création de Skyblog en 2002. Pour Pierre Bellanger, la radio n’a d’ailleurs pas à souffrir de la concurrence d’Internet, car elle « se définit comme une présence sonore, une présence c’est-à-dire un accompagnement sonore auprès de soi dans l’instant présent. Cette intimité qui ne mobilise pas l’oeil est la force de la radio. La radio sur Internet, la radio IP, est mieux que l’Internet visuel. L’Internet visuel mobilise l’oeil et donc votre activité. L’Internet audio vous laisse votre liberté visuelle, un atout majeur » Un raisonnement approuvé par Alain Weill, président de NextRadioTV, qui ajoute que « le marché de la radio est en bonne santé, en France et partout dans le monde. C’est un marché mature, mais qui a encore beaucoup d’avenir. La radio est déjà un média moderne et puissant qui offre aux auditeurs un très large choix. Depuis sa création, la radio a toujours été moderne. En permettant de transporter la voix, elle a initié une véritable révolution en termes de communication » Cependant, force est de constater que de nouveaux usages se créent. D’après Romain Bordier, Aloïs Kirchner, Jonathan Nussbaumer de La Gazette de la Société et des Techniques, sur une très grande station pour les jeunes, seuls 15 % des auditeurs utilisent encore un poste de radio pour écouter l’émission phare de l’antenne. Les 85 % restants sont donc des auditeurs numériques. Applications dédiées ou non, en temps réel ou en différé (podcast), sur ordinateur ou smartphone, parfois en regardant la vidéo de l’émission, souvent filmée, les moyens et les manières d’écouter ne manquent pas. Et plus que jamais, l’ascendance de la radio ne s’arrête pas à l’émission. En effet, la conversation se poursuite souvent sur les réseaux sociaux, entre les auditeurs ou avec les animateurs. Un phénomène que remarque aussi Arnaud Laporte, journaliste sur France Culture pour l’émission La Dispute. « Avec Internet, la radio gagne en audience, et nous recevons régulièrement des messages du monde entier, ce que la diffusion hertzienne ne rendait pas possible. Mais je pense que l’attachement à l’objet radio est toujours très fort, et ne risque pas de disparaitre. Est-ce que les liseuses vont remplacer les livres ? Je ne le crois pas, même si ce n’est pas tout à fait comparable. Internet est une chance, un atout supplémentaire, pas un danger. En tous cas pas pour France Culture » Sources : la lettre pro / tankpresse / la web radio / les échos / opinion way / Photo : Sipa / Christophe Abramowitz